Contexte
Cette recherche a été initiée dans le cadre des ateliers soutenus par la Maison européenne des sciences de l'homme et de la société (MESHS) à Lille. En 2009, un collectif de recherche franco-canadien s'est constitué à l'initiative de plusieurs laboratoires français en sciences de l'information et de la communication (Geriico-EA 4073, Université Lille 3), (Cersic-EA 3207, Rennes 2) et d'un laboratoire canadien (GRICO, Ottawa) sur les écritures normées et normatives. Ce collectif, réuni en ateliers, a permis de bâtir un projet de recherche concerté et programmé sur 39 mois (dont 30 mois couverts par le CPER 2011-13). La Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) en constitue le principal terrain d'observation, sachant que la PJJ et son organisme de formation (ENPJJ - Roubaix) ont été sensibles à une approche centrée sur l'analyse des écrits, en ce qu'elle met en perspective les restructurations formelles récentes de l'institution avec les interprétations et pratiques effectives et réflexives (ethnométhodes) des acteurs.
Le projet stratégique national de la PJJ (2008-2011), représente ici une grille de lecture indispensable pour comprendre l'évolution de la professionnalité éducative : la prise en charge des mineurs y est désormais affichée, non plus comme une mission première, mais comme une mission « parmi d'autres ». À l'exemple des nouvelles normes et autres référentiels d'écriture d'une « aide à la décision du magistrat », il incombe aujourd'hui aux éducateurs « d'instruire » en procédant à des « investigations » et de « construire » le parcours du mineur en formulant des préconisations à l'adresse du juge. Ainsi l'enrôlement des éducateurs et le ré-investissement de l'action éducative sont-ils manifestes dans le processus d'aménagement de peine. De fait, l'écriture normée du rapport devient l'outil essentiel du travailleur social dans l'accomplissement de sa mission.
Écrire sur un jeune ou une situation ne sert plus uniquement un intérêt de visibilité de l'expertise éducative, un témoignage de la prise en charge, un compte-rendu du regard posé et du travail accompli. Ecrire s'inscrit dans l'acte éducatif même. La démonstration emblématique de ce nouvel investissement de l'action éducative dans la forme écrite reste pour les professionnels le processus d'aménagement de peine. Dans ce cadre, nouveau pour les éducateurs de la PJJ, l'écrit n'est plus le témoignage d'un mandat judiciaire, mais un acte judiciaire en soi. Ainsi, en quelques années, les pratiques d'écriture des éducateurs de justice se sont vues interpellées par des injonctions, des préconisations, explicites ou implicites, qui toutes font normes : respect des usagers et intégration de l'expertise éducative à la procédure judiciaire, prise en compte du secret professionnel et de celui, plus délicat, de secret partagé, nécessité de rendre visible, auprès des magistrats, dans le fond comme dans la forme, l'expertise détenu par la PJJ et ses personnels, volonté de développer trames et bonnes pratiques pour garantir une continuité et une homogénéité des missions de service public.
La difficulté pour l'éducateur de faire reconnaître ses compétences et son expertise sont palpables. La méconnaissance des activités et du temps qu'il doit trouver pour gérer les différentes commandes sont difficiles à mesurer et souvent, la problématique de la charge de travail (Villatte, 1998) revient assez souvent dans les entretiens. Ces éléments sont déterminants pour tenter de comprendre le contexte d'écriture et les enjeux qui y sont mêlés.
Considérant la pluralité des acteurs impliqués dans une ré-écriture de l'institution PJJ, la recherche interroge les formes et logiques de (dé)professionnalisation à partir d'une activité distribuée : l'écriture.
Description du projet, méthodologie
Nous souhaitons travailler sur trois axes :
Un premier axe de travail analysera comment se cristallise le rapport de l'éducateur PJJ au carrefour de trois logiques : écrit administratif, écrit judiciaire et écrit social et éducatif. Ce travail s'inscrit dans une perspective historique des écrits professionnels de la PJJ.
Un deuxième axe permettra d'appréhender le type de professionnalité engagée dans ces écrits. L'analyse de l'écrit professionnel, de ses procédures et de ses ajustements à la norme, vont pouvoir nous renseigner sur ce qui fonde aujourd'hui l'identité de l'éducateur
de la PJJ. Enfin, la norme d'écriture serait à interroger comme une pratique négociée entre acteurs (éducateurs, magistrats, directeurs de service...). Nous analyserons la négociation, l'interprétation et les ajustements liés à ces normes, pratiques ou encore procédures d'écriture entre les pouvoirs publics, les professionnels et les acteurs sur le terrain.
Résultats attendus
Cette recherche doit ainsi contribuer à une réflexion sur une politique générale des écritures pouvant déboucher sur de nouvelles formes et normes de travail. Les apports interdisciplinaires permettront de nourrir l'analyse à la fois sur la dimension intrinsèque de l'écrit professionnel et à ses modalités de réalisation, et à la fois d'alimenter la réflexion sur la construction professionnelle de l'éducateur, mission d'autant plus difficile, que le contexte sociopolitique est mouvant.
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