Par Marion Luyat, professeure des universités en psychologie et ergonomie, PSITEC, Université de Lille,
Myriam Noël, professeure des universités, PSITEC, Université de Lille,
et Cédric Campion, praticien hospitalier en gériatrie
Résumé
L’atteinte de la mémoire épisodique est un des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer. L’évaluation de ce type de mémoire est donc un aspect crucial du bilan neuropsychologique. Or, au sein de la population âgée, il existe des personnes particulièrement vulnérables comme les personnes illettrées ou de langue/culture étrangère(s), les personnes souffrant de troubles sensoriels et/ou très fatigables. Par manque d'épreuves neuropsychologiques adaptées, la mémoire de ces personnes ne peut être évaluée ce qui impacte la démarche diagnostique nécessaire notamment à la mise en oeuvre d'aides à la personne (aide à domicile, sécurisation des biens, parcours de soin).
L'objectif de cette étude est de développer un nouveau test d'évaluation de la mémoire épisodique, ludique et écologique, adapté à des personnes âgées, rendues plus vulnérables par la présence d'un déficit sensoriel, d'un illettrisme, d'une culture/langue étrangère.
Contexte
L’âge étant le facteur de risque majeur de développer une démence (Giulioli et Amieva, 2016; Corrada et al., 2010) et notre population des très âgés augmentant, l’évaluation de ces personnes devient de plus en plus importante. Notons que l’évaluation neuropsychologique des personnes âgées peut être discutée mais elle s’avère nécessaire parfois lorsqu’il s’agit de mettre en oeuvre des aides à la personne (aide à domicile, sécurisation des biens, parcours de soin). Outre le peu de normes existantes concernant la tranche d’âge des très âgés (>80 ans) (Giulioli et Amieva, 2016), ces personnes souffrent fréquemment de troubles visuels qui limitent la passation des épreuves à visée diagnostique (Amieva et al., 2015; Bertone et al. 2007). Elles sont aussi parfois issues des vagues d'immigration. Nasreddine et al. (2005) et Maillet et al. (2016) déconseillent d'ailleurs d'évaluer les personnes ayant une langue maternelle ou une culture que l'évaluateur ne maîtrise pas en raison d'un biais lié à la familiarité du matériel. De plus, une amnésie antérograde est fréquente dans la maladie d'Alzheimer ce qui conduit à l'effacement de connaissances récentes et donc à l'effacement des connaissances de langue française, d’où l’interêt de travailler sur les connaissances anciennes (p. ex. arabe chez ces patients).
C’est pour pallier ces difficultés que nous avons créé en 2014 (Noël et al. 2014) une première version d’un nouveau test adapté, la MAI (test de Mémoire avec items Auto-Initiés). Il s’agit d’un test écologique, uniquement verbal et donc ne nécessitant pas de matériel visuel, ludique et ne mettant pas la personne en échec. Depuis cette date, nous réalisons une étude conduite sur un large échantillon de personnes (4 années d’acquisition) afin d’évaluer les qualités métrologiques du test, conditions indispensables afin qu'il soit utilisé sur le terrain par les professionnels de santé.
Présentation du test
Le test a été créé initialement par Myriam Noël, alors neuropsychologue au CHR de Roubaix dans le service de gériatrie. Une première version a été mise au point et testée (Noël et al., 2014). Le test comprend 6 catégories d’items à initier (càd à donner verbalement par le participant) : Ville, Couleur, Boisson, Moyen de transport, Célébrité et Insecte (cf. Fig 1). Par exemple, pour la catégorie « ville », l’expérimentateur demande : « Pouvez-vous me donner le nom d’une ville ? », la personne répond : « Lille », - Pouvez-vous me donner le nom d’une couleur ?, le participant répond : rouge. Une fois les 6 catégories épuisées, on passe à la deuxième phase d’initiation. L’expérimentateur demande : « Pouvez-vous me donner le nom d’une ville mais différente de celle que vous m’avez donnée précédemment ? » et ainsi de suite jusqu’à l’épuisement des 6 catégories X 3 initiations (18 essais). La totalité des items devant être initiés est donc de 3*6=18 items. On recueille alors un score initiation (score initiation=18-erreur ou absence de réponse). On en déduit une perte de points initiation (nombre d’erreurs ou absence de réponse).
Après un délai de 20 minutes occupé avec des petits jeux non verbaux et non mémoriels, on demande de rappeler les noms initiés précédemment par catégorie (rappel indicé). Le total est donc théoriquement de 18 items rappelés. On recueille alors le score au rappel (score au rappel=total de mots initiés -erreur ou absence de réponse). On en déduit une perte de points rappel (nombre d’erreurs ou absence de réponse).
Figure 1. Test de la MAI (Noël et al. 2014) VERSION A
Résultats préliminaires
84 participants contrôles (Mâge=74,24 ET=6,9 ans) et 33 patients avec troubles cognitifs légers (Mâge=83,61 ET=6,75ans) ont pris part à l’étude (Noël et al., 2014). Les résultats préliminaires principaux ont montré que le test était capable de détecter les personnes ayant un trouble neurocognitif pourtant léger dans 75,75% des cas (cf. tableau 1). Suite à la diffusion de ces résultats, le test a connu un vif succès auprès des neuropsychologues praticiens qui ont été nombreux à nous contacter. Pour optimiser son utilisation en clinique, il restait à réaliser une étude psychométrique complète (évaluation de la fidélité et validité du test) avec notamment la création d’une version parallèle du test (Version B de la MAI).
Tableau 1. Nombre de personnes présentant un score pathologique (nombre d’erreurs >5ème percentile) en phase de rappel pour les groupes « non déments » et les groupes présentant des troubles cognitifs modérés (Mild Cognitive Impairments ou MCI).
Les premiers résultats sur la version A montrent des qualités psychométriques très bonnes de ce test avec une sensibilité importante. La poursuite de l’étude sera de tester la fidélité grâce à la mise au point d’une version B du test et d’éprouver également sa validité en comparant le test MAI avec une autre épreuve de mémoire (la VAT).
Bibliographie
American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders DSM-5 (5e éd.). Arlington, VA : American Psychiatric Publishing.
Amieva, H., Ouvrera, C., Giulioli, C., Meillon, C., Rullier, L. et Dartigues, J.-F. (2015). Self-Reported Hearing Loss, Hearing Aids, and Cognitive Decline in Elderly Adults : A 25-Year Study. JAGS, 63, 2099-2104.
Bertone, A., Wittich, W., Watanabe, D., Overbury, O., et Faubert, J. (2005). The effecy of age-related macular degeneration (ARMD) on non-verbal neuropsychological test performance. Paper presented at the Elsevier International Conference Series, 1282, 26-30.
Bertone, A., Bettinelli, L., et Faubert, J. (2007). The impact of blurred vision on cognitive assessment. Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 29, 467-476.
Corrida, M.M., Bookmeyer, R., Paganini-Hill, A. et al. (2010). Dementia incidence continues to increase with age in the oldest old : the 90+ Study. Ann Neurol, 67, 114-121.
Giulioli, C. et Amieva, H. (2016). Evaluation neuropsychologique des sujets très âgés ou oldest old : problématiques et enjeux. Rev Neuropsychol, 8(3), 158-160.
Helmer, C., Pérès, K., Letenneur, L., et al. (2006). Dementia in subjects aged 75 years or over within the PAQUID cohort : prevalence and burden by severity. Dement Geriatr Cogn Disord, 22, 87-94.
Institut National d’Études Démographiques. (2016). Nombre de centenaires. Evolution et projection. Repéré à https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/structure- population/centenaires/
Maillet, D. (2016). Influence de la culture sur l’évaluation neuropsychologique. Dans H. Amieva, C. Belin et D. Maillet (dir.), L’évaluation neuropsychologique de la norme à l’exception (1ere ed., vol. 1, p. 125-136). Paris : de boeck supérieur.
Stern, Y., Gurland, B., Tatemichi, T.K., Tang, M.X., Wilder, D. et Mayeux, R. (1994). Influence of education and occupation on the incidence of Alzheimer’s disease. JAMA, 271, 1004-1010.
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
Consulter la liste des contributions.
URI/Permalien:
