Le projet FermGé vise à étudier l’impact d’une organisation fiscale (1664-1794), discriminante mais rationnelle, sur les territoires et les sociétés de la France moderne. Il cerne les dynamiques de fonctionnement d’une institution ancrée dans une culture du privilège et donc de l’inégalité, mais tout autant dans une culture administrative éclairée visant l’efficacité. Véritable « Etat dans l’Etat », omniprésente à des échelles diverses et sur des territoires très différenciés pour collecter près de 50 % des revenus ordinaires de la monarchie, dotée de moyens exceptionnels de coercition, mais capable de transactions, la Ferme générale a localement renforcé ou affaibli le sentiment d’injustice à l’interface avec les sociétés plurielles sur lesquelles elle agit.
La confrontation entre une logique gestionnaire éclairée par une science et un droit administratifs nouveaux d’une part, et des identités géographiques et sociales plurielles généra des réactions qui se déclinèrent en pratiques et discours pluri-sémantiques sur l’inégalité, allant jusqu’à la radicalisation violente, mais également en pratiques de conciliation caractéristiques de l’arbitrage administratif et gestionnaire. Pour étudier les dynamiques de gestion des privilèges sociaux et territoriaux dans leur globalité et apprécier tout autant les conflictualités que les pratiques d’accommodements, voire les compromis politiques, le projet s’appuie sur une collaboration interdisciplinaire de quatre laboratoires Histoire/Géographie/Histoire du droit en prenant acte des renouvellements heuristiques de chaque discipline. Le projet vise à restituer à la communauté scientifique des connaissances inédites sur cette organisation fiscale, dépositaire d’archives considérables au niveau des départements, mais aussi des analyses sur l’interface inégalitaire Impôt/territoires/sociétés qui ne se limitent pas au paradigme d’une organisation purement coercitive. En effet, l’impôt constitue dès l’époque moderne un outil de réduction des inégalités grâce à la rationalité administrative, fonctionnalité qui sera reprise par l’Etat contemporain (Alexis Spire, 2018). L’équipe met en évidence ces dynamismes d’encadrement du privilège (« les privilèges ne le sont plus », déclare en 1763 un auteur dénonçant les pratiques de la Ferme générale) sous l’effet des rationalités pratiques (N. Coquery et alii, 2006) mises en œuvre par une administration fiscale réputée pour son efficience (E. White, 1997). Au-delà, l’originalité du projet réside encore dans le questionnement d’un binôme notionnel «inégalité/rationalité » que nous élaborons à partir d’un modèle de gestion de l’inégalité (celui de la Ferme générale) qui contribua à l’émergence du droit administratif français et a été exporté à l’étranger : duché toscan, duché de Parme, Prusse, Pays-Bas méridionaux… (J.-C. Waquet, 1977 ; Florian Schui, 2007). Nous émettons l’hypothèse que ce binôme est opérationnel pour étudier tout type d’organisation fiscale agissant globalement sur un territoire.
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