L’objectif de la recherche « Design d’expérience utilisateur & systèmes de recommandations de films documentaires » (UXDoc) est de produire une étude exploratoire et multidimensionnelle sur les stratégies de diffusion, les modes de recommandations et les dynamiques d’appropriation d’un corpus de films «documentaires de création» sur Internet. Dans un contexte où la standardisation des programmes télévisés a conduit les chaînes publiques à se désengager depuis une dizaine d’année de la diffusion de films documentaires d’auteurs, la plateforme SVOD intitulée Tënk constitue un terrain privilégié pour mener à bien cette recherche-action.
- Samuel Gantier (Responsable)
Laboratoire en Design, Visuel, Urbain (DeVisu), Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF) - Eric Kergosien
Groupe d'études et de recherche interdisciplinaire en information et communication (Gériico), Université de Lille (ULille) - Laure Bolka-Tabary
Groupe d'études et de recherche interdisciplinaire en information et communication (Gériico), Université de Lille (ULille) - Aurélie Czeszynski
Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF) - Quentin van Oost
Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF) - Clara Choquet
Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF) - Ève Givois
Laboratoire en Design, Visuel, Urbain (DeVisu), Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF)
Une création documentaire de qualité mais invisible
Depuis une dizaine d’années, la production de films documentaires d’auteurs est dans une situation culturelle et socio-économique paradoxale. Si les financements d’aide à la réalisation de « documentaires de création » (CNC, fonds régionaux, SCAM, etc.) sont constants — voire en augmentation depuis 2018 en région Hauts-de-France[1] — la grande standardisation des programmes télévisés a progressivement conduit les chaînes publiques à se désengager de ce genre cinématographique. Dès lors, sur les centaines de films sélectionnés chaque année dans un réseau de festivals nationaux et internationaux[2], seul une minorité bénéficie d’une exposition médiatique importante — et ceci en dépit de l’augmentation du nombre de films distribués en salles ces dernières années. Cette situation dissymétrique entre producteurs de contenus et diffuseurs télévisés « invisibilise » une grande partie de la production cinématographique contemporaine pourtant structurellement financée par des fonds publics récurrents. Fort de ce constat, un nombre important d’initiatives se sont développées en marge des industries de programme pour soutenir la rencontre entre les œuvres documentaires et un public élargi (voir notamment la cinémathèque du documentaire[3] ou le mois du film documentaire[4]). Depuis 2016, la plateforme Tënk prolonge ce travail de médiation culturelle des œuvres en proposant pour la première fois sur Internet un catalogue de plus de 600 films documentaires d’auteurs.
Tënk : une offre SVOD hétéroclite
Tënk est une plateforme SVOD spécialisée dans la diffusion de films documentaires d’auteurs. Cette programmation que l’on peut qualifier de « niche culturelle » s’inscrit dans un contexte de diffusion sur Internet fortement concurrentiel et non stabilisé (cf. étude du CNC et CSA, 2018). Lancée en août 2016, Tënk propose, à ce jour, à environ 20 000 utilisateurs une programmation hebdomadaire d’une cinquantaine de films. Ces films sont accessibles pendant huit semaines sur abonnement puis alimentent un catalogue de plusieurs centaines de films accessibles en visionnage payant à l’unité (VOD).
La programmation se décompose en différentes thématiques (histoire et politique, arts, écologie, musique, sciences, coup de cœur, festivals, etc.). Elle contient indifféremment des courts et longs métrages, des œuvres contemporaines ou patrimoniales, francophones ou internationales. Les critères qui structurent l’offre sont multiples : qualité du traitement cinématographique, intérêt pour l’histoire du cinéma, cohérence d’une sélection thématique, écho à un sujet de société, découverte ou rétrospective d’un auteur, etc. Or, contrairement à l’offre SVOD de films de fictions[5], le catalogue de Tënk ne peut pas s’appuyer sur la notoriété de comédiens, ni sur la renommée auprès d’un large public d’un cinéaste ou bien encore sur « l’horizon d’attente » induit par la classification en genres cinématographiques (Jost, 1997). Dans ce contexte, sur quel critère l’équipe de programmation peut-elle mettre en avant tel ou tel film ? Comment guider le choix du spectateur face aux multiples propositions des programmateurs sans lui astreindre une surcharge cognitive ?
[1] Voir ici les fonds d’aide à la production pilotés par Pictanovo et financés par la région Hauts-de-France, http://www.pictanovo.com/financer-un-projet/.
[2] Pour la programmation en festival se reporter au RED, Réseau d’Échange et d’Expérimentation pour la Diffusion du cinéma Documentaire, http://www.cinemadureel.org/fr/partenaires/le-red
[3] https://www.cinematheque-documentaire.org/
[4] http://www.moisdudoc.com/
[5] Voir notamment universciné, https://www.universcine.com/ ou lacinetek, https://www.lacinetek.com/fr/
Le programme UXDoc a permis de livrer une série de préconisations sur les usages des plateformes, les logiques de médiations des œuvres et le positionnement des acteurs de la filière. Ces résultats ont été valorisés à travers 3 publications :
1. La présentation détaillée de l’analyse des plateformes et de l’audit ergonomique est présentée dans un rapport de recherche de 84 pages publié sur HAL :
Samuel Gantier et Aurélie Czeszynski. « Programme UXDoc : Design d'expérience utilisateur et systèmes de recommandations de films documentaires. » [Rapport de recherche] Université Polytechnique Hauts-de-France. 2019. 〈hal-02974517〉
2. L’analyse des usages et le design de 6 personae de la plateforme est présenté dans un article publié dans une revue référencée par la 71e section du CNU et accessible en open Access :
Samuel Gantier, « Construction de pratiques cinéphiles sur une plateforme de vidéo à la demande : enjeu du design des personae », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°21/1, 2020, p.53 à 73, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2020/varia/04-construction-de-pratiques-cinephiles-sur-une-plateforme-de-video-a-la-demande-enjeu-du-design-des-personae/
Ce programme émergent a permis trois apports importants tant sur le plan de l’ingénierie de projet que des résultats scientifiques et du montage partenarial :
1. Construction d’un consortium recherche-industrie original en SHS. Ce consortium, formalisé par les services juridiques de l’UPHF et de l’UdL, est composé de 4 partenaires :
- Le laboratoire DeVisu, Université Polytechnique Hauts-de-France qui apporte l’expertise en UX design et cinéma documentaire.
- Le laboratoire Gériico, Université de Lille qui collabore sur la création du thesaurus et l’évaluation de la recommandation algorithmique.
- La plateforme Tënk qui ouvre son catalogue et métadonnées sur les films.
- La société Spideo qui met à disposition son moteur algorithmique de recommandation spécialisé dans les catalogues audiovisuels.
2. Financement du programme Algo-Doc (Algorithme de recommandation de films documentaires), dirigé par Samuel Gantier, Laure Bolka-Tabary et Eric Kergosien. Programme financé à hauteur de 30k€ dans le cadre de l’AAP SHS-Valo porté par l’I-SITE de l’Université de Lille et la SATT NORD. AlgoDoc prolonge et approfondie les résultats ébauchés dans le programme UXDoc. Ce programme a pour objectif la création, structuration et évaluation d’un jeu de données inédit afin d’indexer un catalogue de films documentaires et son implémentation dans un moteur de recommandation algorithmique. L’accompagnement de la MESHS et plus particulièrement de madame Janis Monchet a été déterminant dans le montage de ce nouveau programme.
3. Dans la dynamique du programme AlgoDoc#1 finalisé en 2020, une consolidation scientifique des résultats va être initiée à partir de mars 2021 dans le cadre du programme AlgoDoc#2 (Algorithme de recommandation multi-facette de films documentaires) financé à hauteur de 85k€ par le dispositif Start Airr de la région Hauts-de-France. Ce deuxième volet dirigé par Samuel GANTIER a pour objectif l’itération d’un jeu de données de procédés filmiques, l’indexation multifacette de 800 films documentaires et l’ingestion dans le moteur de recommandation algorithmique Rumo fourni par la société Spideo.
Les perspectives de cette recherche sont de deux ordres. Sur le plan de la valorisation au sein de la filière, les résultats seront diffusés auprès des acteurs impliqués dans la diffusion du cinéma documentaire sur le plan national, européen et international. Une journée d’étude réunissant chercheurs, experts et professionnels est envisagés en webinaire fin 2021 :
- Bpi (catalogue Les Yeux Doc)
- CNC (catalogue Images de la culture)
- Images en Bib (mois du film documentaire, opérateur en région HdF Heure Exquise !)
- Maison du Doc (formations des cinéastes en résidence d'écriture et master 2 de réalisation et production documentaire)
- Film Documentaire (missions d'archivage et de documentation des films)
- Cinémathèque du Documentaire (diffusion, opérateur en région HdF Heure Exquise !)
- Tënk Canada (via un partenariat avec le Labdoc de l’Université de l’UQAM)
- Ciclic (pilote des actions d'éducation à l'image)
- Scam, société civile des auteurs documentaire et multimédia
- EuroVod (fédération des plateformes SVOD indépendantes à l’échelle européenne)
Sur le plan de la recherche et développement un programme de maturation proposé par la Satt Nord doit être finalisé courant 2021 afin de permettre de développer une version mature des résultats de la recherche et pouvoir déployer cette innovation d’usage. En termes de design d’expérience utilisateur, il s’agit de proposer ce qu’aucune autre plateforme cinéphile de niche ne propose à ce jour, à savoir, un dispositif algorithmique personnalisé, c’est-à-dire adapté, d'une part, aux spécificités cinématographiques de son catalogue et, d'autre part, à la réalité des usages de ses abonnés. Ce service innovant doit permettre de répondre à cinq objectifs :
- Accompagner un public cinéphile et non-initié au cinéma documentaire dans ses choix de visionnage.
- Faire évoluer les représentations négatives sur le genre documentaire, associé par le grand public au film animalier, reportages journalistiques ou démarches pédagogiques.
- Dépasser une première expérience de visionnage décevante si elle ne répond pas aux besoins et attentes d’un spectateur non-initié.
- Renforcer le taux de renouvellement des abonnements et par là-même le modèle économique d’une offre culturelle de qualité sur le web.
- Refonte de son offre commerciale avec un travail sur la monétisation de son catalogue VOD en 2021 en levant les verrous de l’hyperchoix.
Enfin des collaborations scientifiques ont pu être amorcés sur le plan national et international. Samuel GANTIER a pu rejoindre comme membre associé le CodesignLab, laboratoire de l’école Telecom ParisTech, appartenant à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation et spécialisé sur les questions de conception et d’innovation dans les technologies de l’information et de la communication. Sur le plan international, le développement de Tënk Canada a permis d’amorcer une collaboration scientifique avec le LabDoc de l’UQAM spécialisé dans le cinéma documentaire.