Par Maxence Dumont, ingénieur recherche en sciences du sport
et Dominique Everaert-Dumont, maîtresse de conférences HDR en droit privé, LEREDS, CRDP, Université de Lille
La prévention a lentement innervé un droit de la santé au travail qui avait été jadis construit à partir d’un modèle focalisé sur la « réparation » du travailleur victime (Voir, Loi du 9 avril 1898, sur la réparation des accidents du travail, JO 10 avril 1898, p 2209). Or, raisonner en termes de « prévention » suppose de déplacer l’axe de réflexion pour le porter en amont de l’exécution du travail, afin de prendre les mesures nécessaires à la préservation de la santé du salarié (art. L 4121-1 c. trav.). La démarche de prévention s’impose à l’employeur et lui commande, notamment, d’évaluer les risques qu’il ne peut éviter, d’adapter le travail à l’homme et de corriger les imperfections des organisations en place (art. L 4121-2 c. trav.).
La démarche de prévention nécessite d’adopter une vision large du travail qui soit à la fois prospective et dynamique. Elle doit savoir anticiper les évolutions en fonction de l’état de la technique et tenir compte de la santé dans toutes ses dimensions, physiques et mentales. Ainsi, l’employeur peut être amené à repenser son organisation de travail en raison de l’apparition chez le salarié de troubles psychosociaux (stress, burn out…) ou de manifestations de fatigue physique (troubles musculosquelettiques…), ou encore d’exigence de qualité de vie et de bien-être au travail. Cette dernière dimension de « bien-être au travail » est amenée à prendre de l’ampleur car elle est un élément clé de la stabilité des salariés dans l’entreprise, participant autant à la croissance de cette dernière qu’au bon déroulé des carrières. Or, selon les derniers résultats du baromètre santé et qualité au travail de Malakoff Médéric (publié en Septembre 2019), il apparaît que 53% des salariés estiment leur emploi physiquement fatiguant et 54% d’entre eux ont le sentiment d’être épuisés psychiquement au travail. Par ailleurs, la pénibilité est souvent invoquée comme frein à la poursuite d’une activité chez les salariés ayant atteint l’âge de la retraite.
Dans ce contexte, le phénomène d’usure au travail ne doit pas être perçu comme une fatalité. Ses causes sont multifactorielles. Il peut se rattacher au vieillissement de la population au travail (études et compétences acquises plus tardivement, carrières plus discontinues, âge de la retraite repoussé…) qui expose à davantage de fragilités. Il peut aussi être la résultante d’un mécanisme de répétition des gestes ou de mauvaises postures. Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont définis comme étant « des douleurs et des gênes dans les mouvements qui, sans mesure de prévention, peuvent entraîner à terme une incapacité au travail et dans la vie quotidienne » (Ministère du travail). Ils sont le résultat d’un surmenage ou de mouvements répétitifs ayant occasionné des lésions musculaires, des entorses, des foulures, des hernies discales ou un syndrome du canal carpien (US Bureau Of Labor Statistics).
Les solutions passent par des réponses spécifiques : tel aménagement du poste de travail, telle limitation du poids des charges… mais aussi par des mesures de prévention plus globales qui présentent de multiples intérêts : agir sur la durée en corrigeant les postures, favoriser le renforcement du « collectif » de travail par une démarche inclusive, donner des outils faciles à appréhender pour former les salariés aux « bons gestes » et pratiques « bien-être »…
L’usure peut se corriger ou être évitée par le respect de méthodes appropriées qui sont trop peu connues des entreprises. Malgré leurs investissements, elles peinent souvent à mettre en place des mesures efficaces pour prévenir et remédier aux différentes tensions physiques et psychologiques auxquels font face les salariés. Des solutions existent qui peuvent être facilement appliquées sur le terrain. Ainsi, une intervention adaptée en préparation physique permet de manière significative de diminuer les douleurs musculaires, de même que les risques de développer des troubles musculosquelettiques (Blangsted et al, 2008 ; Morken et al, 2007). Ce type d’intervention permet de renforcer les systèmes musculaire et squelettique, tout en relâchant certaines zones corporelles trop souvent sollicitées, par des exercices de renforcement/relâchement qui ont pour objectif d’optimiser la posture en fonction du poste occupé et de diminuer les tensions mécaniques. De façon complémentaire, il s’agira également d’adapter l’environnement de travail au poste occupé. L’ergonomie au poste est en effet un facteur de réduction des contraintes physiques occasionnées par la réalisation d’une tâche (Lewis et al, 2002).
En France, les TMS sont la première cause de maladie professionnelle, représentant (selon l’assurance maladie en 2018) 88% des maladies professionnelles, soit 43 506 cas recensés (hausse de 2,7% par rapport à 2017). Ces troubles peuvent impacter durablement, voire chroniquement, la santé des salariés puisque 46% des TMS sont source d’une incapacité permanente. Outre les pathologies occasionnées sur les salariés, les TMS ont un impact économique non négligeable, occasionnant 22 millions de journées d’arrêt de travail. Généralement, les TMS sont localisés au niveau du dos, des membres supérieurs et du cou (Dossier thématique, Santé public France, 2020). Ces pathologies peuvent toucher tous les secteurs de l’emploi et, en premier lieu, les métiers nécessitant des ports de charges élevés et/ou répétés qui mettent le système musculosquelettique sous tension. Par exemple, en France, 93% des cas de maladies professionnelles dans le secteur agricole sont liés aux TMS (Bernard et Tourne, 2007). Ces troubles peuvent également affecter les personnels de bureaux. Ainsi, le maintien d’une posture statique devant un écran d’ordinateur peut occasionner de manière spécifique des pathologies au niveau du cou, de l’épaule, ainsi que des membres supérieurs (Walhstrom, 2005).
En ce qui concerne la prévention des risques psychosociaux, la préparation mentale (par exemple, la technique de méditation) est un outil qui aide à la gestion du stress et augmente la confiance en soi (Steiler, 2012). La cohésion entre les salariés apparaît également être une piste intéressante pour prévenir les RPS en entreprise. Le "Team Building" consiste à renforcer les liens sociaux entre les salariés par la mise en place d'activités collectives (activités extra-professionnelles, groupe de travail, ateliers de formation…). Il est démontré que ce type d'action améliore le bien-être en entreprise par une meilleure ambiance de travail (Daniels et al, 2017).
Sur le plan juridique, ces interventions peuvent venir nourrir le contenu des accords « qualité de vie au travail » (QVT) dont le manque de force d’impulsion en matière d’amélioration de la santé au travail peut être souligné (ANACT).
Bibliographie
Bernard, C., & Tourne, M. (2007). Musculoskeletal disorders in agriculture. La Revue du praticien, 57(11 Suppl), 45-50.
Blangsted, A. K., Søgaard, K., Hansen, E. A., Hannerz, H., & Sjøgaard, G. (2008). One-year randomized controlled trial with different physical-activity programs to reduce musculoskeletal symptoms in the neck and shoulders among office workers. Scandinavian journal of work, environment & health, 55-65.
Daniels, K., Watson, D., & Gedikli, C. (2017). Well-being and the social environment of work: A systematic review of intervention studies. International journal of environmental research and public health, 14(8), 918.
Lewis, R. J., Krawiec, M., Confer, E., Agopsowicz, D., & Crandall, E. (2002). Musculoskeletal disorder worker compensation costs and injuries before and after an office ergonomics program. International Journal of Industrial Ergonomics, 29(2), 95-99.
Morken, T., Magerøy, N., & Moen, B. E. (2007). Physical activity is associated with a low prevalence of musculoskeletal disorders in the Royal Norwegian Navy: a cross sectional study. BMC musculoskeletal disorders, 8(1), 56.
Steiler, D. (2012). La mindfulness en entreprise: bien-être et performance. J. Cottreaux (éd.), Psychologie positive et bien-être au travail, 133-152.
Wahlström, J. (2005). Ergonomics, musculoskeletal disorders and computer work. Occupational medicine, 55(3), 168-176.
Sites internet
https://anact.fr/accords-qvt-quels-effets-dans-les-entreprises
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
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