Par Samantha Holin, doctorante en neuropsychologie, PSITEC Université de Lille
Etienne Allart, praticien hospitalier, Service Rééducation Neurologique Cérébrolésion, CHU de Lille, Hôpital Pierre-Swynghedauw, et Université de Lille
Hélène Delecroix, AUPRES TC, Maison d’Accueil Spécialisée externalisée pour personnes cérébro-lésées. La Bassée, Fondation partage et vie
Odile Kozlowski, Réseau TC-AVC Hauts-de-France, Lille
et Christine Moroni, professeure des universités en neuropsychologie, PSITEC, Université de Lille
Le traumatisme crânien (TC) est la première cause de handicap chez les individus de 15 à 40 ans. Selon l’institut du cerveau et de la moelle épinière, chaque année en France, 150 000 personnes sont victimes d’un TC. Les séquelles post-TC sont multiples et imbriquées. Elles peuvent être physiques, cognitives, comportementales, impactant l’autonomie, la vie sociale, émotionnelle et professionnelle de la personne victime du TC. Au plan cognitif, suite à un TC, des troubles mnésiques, attentionnels et des fonctions exécutives peuvent être observés (Christensen et al., 2008). Les séquelles cognitives peuvent s’améliorer plusieurs années après l’accident traumatique (en moyenne deux à trois ans). Ces séquelles ont été bien étudiées, cependant, les connaissances que nous en avons, concernent essentiellement les premières années qui suivent l’accident traumatique. En revanche, l’évolution de ces séquelles avec l’avancée en âge de la personne victime d’un TC est encore peu connue et reste à caractériser.
Compte tenu de l’incidence et des séquelles d’un TC, la prise en charge des personnes victimes d’un TC représente un enjeu sanitaire majeur sur le long terme impliquant des besoins pluridisciplinaires. De plus, comme nous l’avons dit précédemment, les troubles cognitifs consécutifs à un TC entraînent un bouleversement dans la dynamique socio-professionnelle de la personne. Ces troubles constituent un handicap invisible qui se révèle au cours d’une mise en situation. Ce handicap génère une baisse d’autonomie dans la vie quotidienne. Avec les modifications cognitives et physiques accompagnant l’avancée en âge de toutes personnes, les séquelles d’un TC pourraient s’amplifier et l’apparition de maladies neurodégénératives pourrait être plus précoce. Or, il est constaté une différence quant à l’âge d’admission en EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) pour les personnes en situation de handicap comparativement à la population générale. En effet, l’âge moyen d’admission en EHPAD est de 63 ans pour les personnes en situation de handicap contre 84 ans pour les personnes ne présentant pas de handicap. Il semble donc nécessaire de caractériser l’évolution du handicap invisible des personnes TC avec leur avancée en âge afin de pouvoir proposer des actes de prévention et des propositions concrètes pour maintenir leur autonomie et ainsi améliorer leur qualité de vie à long terme.
Nous menons un projet intitulé « Étude du processus de vieillissement des personnes traumatisées crâniennes en situation de handicap et identification de leur bien vieillir » dans le cadre d’un contrat doctoral, co-financé par la région Hauts-de-France et la Fondation Internationale de la Recherche Appliquée sur le Handicap (FIRAH). Ce projet est mené en collaboration entre le laboratoire PSITEC de l’université de Lille (URL 4072), le réseau TC-AVC des Hauts-de-France, la Fondation Partage et Vie, le CHU de Lille et l’association de familles de traumatisés crâniens (AFTC) R’éveil. Comme rappelé plus haut, il existe actuellement peu de données caractérisant l’avancée en âge des personnes TC. L’objectif de ce projet est donc de mieux connaître l’évolution à distance des personnes victimes d’un TC (au moins 10 ans après), en définissant d’une part les dimensions importantes à évaluer grâce à la mise en œuvre de la méthode DELPHI (étape 1), et d’autre part en mesurant cette évolution de manière globale (paramètres physiques, cognitifs, autonomie, qualité de vie, intégration dans la société…) sur un échantillon de personnes TC (étape 2).
Lors de la première étape, nous avons utilisé une méthodologie Delphi afin de mettre en évidence les difficultés spécifiques à l’avancée en âge des personnes victimes d’un TC. Pour réaliser cette première étape, des professionnels de santé, des personnes traumatisées crâniennes et leur famille ont été sollicités pour répondre à un questionnaire en tant qu’experts puisqu’ils ont tous une connaissance pratique de notre question de recherche. Les professionnels ont répondu en autonomie à ce questionnaire qu’ils ont reçu par mail alors que pour les personnes TC et leur famille ce questionnaire a donné lieu à un entretien semi-directif afin de s’assurer de la bonne compréhension des questions. À partir de cette concertation des experts, nous souhaitons élaborer une vision transversale des problématiques liées à l’avancée en âge de la personne TC et nous pourrons établir un guide d’évaluation de ces problématiques, utile à tous moments du suivi au long court de la personne TC.
La seconde étape de notre recherche a pour objectif de caractériser l’évolution de personnes TC, à au moins 10 ans de leur accident traumatique, afin d’apporter des arguments quantitatifs en regard de l’enquête menée lors de la première étape. Pour cela, des évaluations cognitives, physiques, thymiques, d’autonomie, de participation sociale et de qualité de vie chez des personnes victimes d’un TC seront réalisées. Les participants recrutés auront été victimes, au moins 10 ans auparavant, d’un TC modéré ou grave survenu entre l’âge de 18 et 55 ans. Il faut que ces personnes aient bénéficié d’un bilan cognitif et d’une rééducation en phase de stabilisation (soit durant deux à cinq ans après leur TC). Une nouvelle évaluation cognitive et comportementale ainsi que le recueil des comorbidités et des thérapeutiques de chaque participant seront effectués.
L’objectif de notre recherche qui mobilise plusieurs acteurs de la région Haut-de-France est d’identifier les facteurs influençant le vieillissement des personnes traumatisées crâniennes afin d‘identifier leurs vulnérabilités et de proposer des mesures de prévention et de solutions concrètes à la personne TC, son entourage, mais aussi aux professionnels de santé. Nous souhaitons limiter les conséquences liées au vieillissement sur le handicap, et ainsi améliorer la qualité de vie des personnes. De plus, comme il existe, de manière générale, des similitudes entre le handicap invisible des personnes TC et celui des personnes victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’autres lésions cérébrales acquises, notre travail de recherche pourra permettre d’entrevoir des recommandations pour d’autres pathologies neurologiques.
Nous prévoyons de réaliser un livret pragmatique et accessible à tous, intitulée « Bien vieillir après un traumatisme crânien : prévention et conseils » pour synthétiser nos principaux résultats. Ce livret en version papier sera diffusé gratuitement à l’ensemble des structures adhérant au Réseau TC-AVC HDF et un format numérique sera mis en ligne sur le site du Réseau TC-AVC HDF ou sur d’autres sites partenaires pour en permettre sa diffusion sur le territoire national ou francophone.
Références :
Christensen, B. K., Colella, B., Inness, E., Hebert, D., Monette, G., Bayley, M., & Green, R. E. (2008). Recovery of Cognitive Function After Traumatic Brain Injury : A Multilevel Modeling Analysis of Canadian Outcomes. Archives of Physical Medicine and Rehabilitation, 89(12), S3-S15. https://doi.org/10.1016/j.apmr.2008.10.002
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
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