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christelle.rajramanan[at]univ-lille[POINT]frL’élévation des niveaux d’exigences affichés en matière de lutte contre les déterminismes socio-culturels et territoriaux a coïncidé, ces trente dernières années, avec la mise en œuvre de politiques de « responsabilisation » accrue de l’ensemble des acteurs de la communauté éducative (Dupriez et Mons, 2010 ; Dutercq, Gather-Thurler et Pelletier, 2015 ; Gather-Thurler et Maulini, 2014 ; Maroy, 2013). Censé appuyer la « montée en compétences » des enseignants, l’accompagnement des premières années d’entrée dans le métier a, dans cette logique, été identifié comme un levier central pour insuffler une dynamique générale de renouvellement des pratiques pédagogiques au service de la personnalisation des apprentissages et de la réussite de tous les élèves (Claus, 2014). Le pari ne paraît pas incohérent si l’on considère que les premières années d’exercice constituent, par définition, une phase décisive dans la genèse des pratiques et des positionnements professionnels des enseignants débutants. Mais quels sont les effets socialisateurs réels des « parcours » des enseignants débutants ? Une fois dépassées les difficultés liées à l’inévitable « choc de réalité » de l’entrée dans le métier (Huberman, 1989), les néo-enseignants parviennent-ils vraiment à développer des pratiques d’enseignement de plus en plus efficaces et satisfaisantes ?
Manifestations, publications scientifiques et rapports officiels se sont multipliés ces dix dernières années, pointant les taux de démission et de stress professionnels, ainsi que le développement de stratégies induites de préservation de soi, voire de dynamiques de « dé-professionnalisation », associés aux contextes d'insertion dans le métier d’enseignant (Carraud et Robert, 2018 ; Danner, Farges, Fradkine et Garcia, 2020 ; Bergugnat, 2016; Blanchart-Laville, 2013 ; Carle et Férat, 2016; Jégo et Guillo, 2016 ; Karsenti, Collin et Dumouchel, 2013 ; Lantheaume, 2008 ; Lothaire, Dumay et Dupriez, 2012 ; Maubant, Roger et Lejeune, 2013 ; Wittorski et Briquet-Duhazé, 2010 ; Wittorski et Roquet, 2013). La situation peut paraître paradoxale dans la mesure où la réforme de 2013 visait précisément à aménager les conditions d'une véritable formation en alternance, mise à mal par la précédente réforme de 2009. Les paramètres en jeu sont pluriels (régime d'alternance choisi, télescopage des enjeux de diplomation et de formation professionnelle, conditions d'affectation, possibilités de formation continue et état moral des équipes en place, etc.) et vont donc bien au-delà des seules conditions de formation initiale dont les ESPE (désormais INSPE) sont comptables. Ces paramètres ont constitué le cœur d’une recherche collective conduite au sein du laboratoire RECIFES, en collaboration avec des chercheurs du CIRCEFT-ESCOL (Mamede et Netter, 2018), sur les premières années d’enseignement à l’école primaire (où ces difficultés revêtent une acuité particulière). Cette recherche a consisté en un examen longitudinal approfondi des premiers positionnements professionnels des professeurs des écoles débutants et des remaniements de leurs conceptions du métier à différentes étapes de parcours (Broccolichi et al., 2018). Plusieurs travaux menés au sein du CIREL étudient de leur côté les pratiques éducatives, scolaires et extrascolaires, et leurs effets sur les parcours des élèves. Croisant des approches descriptives et compréhensives, elles visent, plus particulièrement, à comprendre comment s’entremêlent déterminants didactiques et sociologiques dans la production des inégalités scolaires en focalisant sur le vécu disciplinaire des élèves (Reuter, 2016 ; Yu, 2020), la compréhension du point de vue des élèves selon les disciplines (Ordonez-Pichetti, 2020), les pratiques d’orientation (Lahanier-Reuter et al., 2019) ou encore les pratiques d’aide aux devoirs (Zaid et al., 2019). L’objet de ce séminaire est d’interroger plus avant les relations complexes et variables qu’entretiennent les pratiques professionnelles des enseignants et les apprentissages réalisés (ou non) par leurs élèves, au prisme des trajectoires individuelles, des parcours de formation et des conditions d’exercice actuels.
L'objectivation des effets des pratiques enseignantes ne préjuge, en elle-même, en effet en rien des conditions à réunir pour favoriser les évolutions souhaitées. Il est à cet égard primordial de pouvoir accéder à la genèse de ces pratiques. Qu'est-ce qui conduit les enseignants débutants à adopter telle ou telle pratique puis à la pérenniser ou à la réviser ? Comment évoluent leurs conceptions et leurs stratégies d'enseignement aux différentes étapes de leurs parcours d'insertion professionnelle ? Quelles sont leurs priorités en acte ? Comment se modulent et se combinent les composantes didactiques, pédagogiques et identitaires de leur activité ? Jusqu’à quel point parviennent-ils à faire « résonner » (Zaid et Mierzejewski, 2018) les éléments de formation qu'ils reçoivent à l'Université avec leurs observations et leurs expériences successives dans des contextes variés ? Quel statut et légitimité confèrent-ils aux différents savoirs, outils, conseils et autres recommandations qui leurs sont dispensés ? Dans quelle mesure adhèrent-ils (ou au contraire résistent-ils) aux modèles de professionnalité et aux injonctions auxquels ils sont confrontés ? Quel est en définitive le poids repérable (explicite ou implicite, immédiat ou différé) des formations reçues et des dispositifs d'accompagnement à l'entrée dans le métier ?... La question de l'articulation des apprentissages universitaires et professionnels se situe au cœur des débats récents sur la formation des enseignants et a fait l'objet de nombreux travaux en France et à l'étranger (Buhot et Cosnefroy, 2011 ; Cros, 2001 ; Espinassy, Brière-Guenoun et Félix, 2018 ; Etienne et al., 2009 ; Guibert et Troger 2012 ; Lessard et Tardiff, 1999 ; Lessard et Tardiff, 2004 ; Losego, 2014 ; Perrenoud et al., 2008 ; Perrenoud, 1994 ; Rayou et Van Zanten, 2004 ; Sensevy, 2019 ; Veillard, 2017). Elle y est en général envisagée en termes d'intégration rendue possible par l'alternance d'enseignements, d'observations outillées, de pratiques accompagnées, de stages en responsabilité, d'analyses des pratiques, d'échanges et de remédiations encadrés par des tuteurs experts. Ces travaux montrent toutefois aussi que, même lorsque des dispositifs de ce type existent, de nombreux paramètres biographiques individuels et des modalités de mise en œuvre locales viennent en moduler la dynamique (Bertone et al., 2009 ; Goigoux et al., 2009). C'est d'une observation systématique et approfondie de ces variations que peuvent être attendues les avancées les plus significatives de la réflexion sur les moyens de concourir à une plus grande égalité des chances à l'école. L’enjeu est que les politiques scolaires et l’ensemble de leurs acteurs puissent mieux tirer parti des éléments de diagnostic et des retours d’expériences disponibles pour induire une dynamique apprenante à toutes les échelles de décision et de mise en œuvre.
Les organisateurs du séminaire se proposent, à cette fin, de réunir des spécialistes français et étrangers de la question pour croiser les analyses, débattre des acquis de la recherche et dégager des perspectives complémentaires. Les conclusions provisoires sont-elles extrapolables à l’ensemble du territoire national ? La situation française présente-t-elle des spécificités notables ? Les observations portant sur les premières années d’exercice du métier de professeur des écoles (PE) valent-elles au-delà de ces premières années et pour l’enseignement secondaire ? L’offre actuelle de formations continues est-elle en mesure de surseoir aux difficultés cumulées en amont (dans les contextes ségrégués où exercent le plus souvent les débutants) ? Le croisement et la complémentarité des points de vue s’entend ici aussi bien sous le regard des contextes, ordres d’enseignement et étapes de parcours envisagés ; que du point de vue des éclairages disciplinaires mobilisés (sociologie, sciences de l’éducation et de la formation, didactique, ergonomie, histoire, sciences politiques, psychologie…). Le pari pédagogique est de positionner les doctorants en position de discutants et de contributeurs à chaque séance de séminaire, tout en les invitant à entrer en première personne dans l’atelier relatif à l’élaboration et au suivi de deux campagnes d’enquêtes nationales (en partenariat avec la DEPP) en préparation : l’une sur l’évolution des positionnements professionnels à l’égard des difficultés scolaires de leurs élèves des PE tout au long de leur carrière ; et l’autre, sur la comparaison de ces mêmes positionnements, mais cette fois à l’échelle des enseignants débutants investis dans les différentes configurations disciplinaires et niveaux/secteurs d'enseignement caractéristiques qui pourront être reconstitués par l’enquête. Ces échanges, débats et investigations trouveront par ailleurs un débouché immédiat dans le cadre du projet d’innovation pédagogique (soutenu par l’INSPE de Lille Hauts de France) : « Accompagner le développement professionnel des professeurs stagiaires dans le cadre du tutorat mixte : modalités d'accompagnement, effets sur les stagiaires et ressources de formation pour les tuteurs » conjointement animé par les organisateurs. Deux séances sont prévues pour le premier semestre 2020-2021 de cette deuxième édition du séminaire.
Responsables scientifiques : Sylvain Broccolichi, Christelle Dormoy-Rajramanan, Christophe Joigneaux, Stéphan Mierzejewski et Abdelkarim Zaid
Projet Partenariat 2020-2021
Cet évènement est soutenu par le Conseil régional Hauts-de-France et par le MESRI dans le cadre du CPER ISI-MESHS
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