La publication des défenses judiciaires (plaidoyers judiciaires) a été un fait commun à différents pays européens entre les XVIe et XIXe siècles. Ce constat n’a jamais suscité d’étude spécifique. Depuis quelques décennies, l’historiographie s’intéresse certes à la recension, l’étude et la numérisation des corpus de factums ayant existé en France, mais ignore qu’en Espagne et en Allemagne, ces archives existent en étant connues sous différentes appellations, porcones (Espagne) ou Plaidoyers (Allemagne). Ces plaidoyers se présentaient sous la forme de fascicules in 4° ou in 8° parfois très bavards, écrits par des professionnels de la justice au nom des justiciables, mais souvent non signés parce que non soumis à la censure royale : destinés à être distribués publiquement, ils étaient adressés aux « juges et au Public ». Ce projet propose de consacrer deux journées d’étude à leur réception (ou non réception) et à leur diffusion en Europe ; également, à leur analyse en contexte, qui concerne leur place dans les procédures judiciaires et leur utilisation par les acteurs afin de susciter un mouvement de soutien vis-à-vis des justiciables impliqués dans une action en justice.
Le problème de la création de l’« opinion publique » est certes ainsi au centre de nos interrogations. Cette thématique a été portée par plusieurs travaux centrés sur de telles sources et qui ont fait date, publiés (par exemple Sara Maza, 1997 ; Luc Boltanski, Elisabeth Claverie, Nicolas Offenstadt et Stéphane Van Damme, 2007) ou qui ont fait l’objet de rencontres intensives (dans le cadre du projet ADA, notamment en octobre 2012). En adhérant au programme général de ce projet, le but est de centrer la focale sur la question de la circulation de ces textes imprimés et parfois manuscrits et sur les microdispositifs sociaux, politiques et tout d’abord juridiques qui ont produit et suscité cette littérature de prétoire.
L’objectif est en premier lieu d’établir une chronologie européenne et d’analyser la diffusion du modèle. Parallèlement, d’étudier avec précision les conditions de la « circulation matérielle » des plaidoyers judiciaires : les étapes de la chaîne de leur écriture, de leur édition et impression, les relais et réseaux qui ont assuré leur diffusion auprès de leurs destinataires, la géographie et la sociologie de ces agents de la communication, les répercussion intra-judiciaire et extra-judiciaire provoqués par ces documents.
L’étude de ces actions en contextes se poursuivra en effet par une interrogation sur la forme originale prise parfois par ces mémoires : ceux-ci semblent parfois directement écrits par les plaideurs eux-mêmes qui les convertissent en « récits de soi ». Comment de tels textes -qui tendent par ailleurs à se plagier les uns les autres- prennent-ils place dans la procédure judiciaire et pour quel type d’action ? Cela relance la question des acteurs dans la modalité pratique mais aussi théorique du champ judiciaire. Du rôle et de l’« expertise » des juges lecteurs, au statut incertain d’auteur reçu par les avocats rédacteurs à l’intérieur de l’institution judiciaire mais aussi à l’extérieur de celle-ci, dans des sociétés où la littérature occupe une place grandissante, de plus en plus institutionnalisée (voir les travaux du GRIHL), il s’agit d’interroger avec précision le statut pratique du texte. Non censurée, la littérature judiciaire use d’une grande liberté de ton et occupe une place non négociable dans l’institution politique d’une société aux ressorts économiques de plus en plus complexes. Quelle place exactement octroie-t-elle à l’individu et à l’expression de sa subjectivité et pour quel dispositif politique ? Peut-on voir se constituer un modèle européen à cet égard et avec quelles variantes ?
Aujourd’hui, particulièrement en France, les factums font l’objet d’un programme national porté par les centres de conservation de ces archives afin de procéder à leur numérisation systématique. Parallèlement à la question de leur diffusion dans le passé, le projet pose la question de celle du présent et faire le point sur les modalités de leur classification actuelle en regard de cette question des contextes de production historique ; le point également sur la visée actuelle de ces publications par Internet, pour poser la question d’une mise en réseau européen.
Le projet PJEOA est soutenu par la MESHS dans le cadre de son appel à projet partenariat 2017-2018.
Il est également soutenu par l'Etat et le Conseil Régional Hauts-de-France dans le cadre du CPER ISI-MESHS
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