maître de conférences en géographie, TVES, Université de Lille
Le vieillissement de la population fait partie de mes thématiques de recherche depuis de nombreuses années. Géographe de la population, j’ai longuement travaillé sur les mécanismes spatiaux du vieillissement de la population à différentes échelles. Si le vieillissement des états est un phénomène relativement lent car résultant des évolutions progressives de la fécondité et de la mortalité, le vieillissement à l’échelle locale est un phénomène nettement plus instable, rapide, agissant par à coup car résultant principalement de la mobilité résidentielle présente et passée. L’analyse de l’évolution des pyramides des âges à l’échelle très fine des quartiers ou des communes permet de prévoir les évolutions futures du vieillissement démographique mais surtout des effectifs de la population âgée locale. Elle met en évidence des processus qui affectent des territoires bien particuliers qui ne sont pas forcément adaptés pour l’accueil d’un nombre croissant de personnes âgées ou très âgées
L’explication de l’inégale distribution territoriale des générations relève principalement du cycle de vie des ménages et des formes spatiales de la croissance urbaine prévalant depuis 1950. En effet, plus qu’un échange de jeunes adultes entre centre et périphérie, l’extension spatiale des agglomérations sa souvent pris la forme d’une onde de peuplement. La croissance démographique s’est déversée au cours des années 1960 sur la première couronne de banlieue, puis sur la couronne externe de banlieue durant les années 1970 et, enfin, sur l’espace périurbain au cours des années 1980-1990. À cette onde de peuplement a plus ou moins correspondu une onde de rajeunissement corrélative. Les jeunes ménages, en quête de logements, se sont tournés vers les constructions de la périphérie des villes. Au cours des années 1960, les jeunes accédants à la propriété se sont implantés dans les parcs de logements construits principalement en proche banlieue. Au cours des années 1970, la première couronne de banlieue devenant saturée, les constructions de logements attirant les jeunes adultes se sont portées vers la couronne externe de banlieue. Dans les années 1980-2000, c’est l’espace périurbain qui a attiré les constructions de logements et les jeunes ménages. L’onde de peuplement génère ainsi une répartition radio concentrique des générations successives d’accédants à la propriété. Cette structure spatiale a ensuite tendance à se pérenniser par la faible mobilité des populations en accession à la propriété (cycle de vie des ménages). L’augmentation du nombre de personnes âgées que connaissent actuellement les espaces de proche banlieue, correspond à l’arrivée à l’âge de la retraite des premiers établissements de jeunes couples venus dans ces communes durant les années 1960. Dans la couronne externe de banlieue, le peuplement ayant été plus tardif, les générations d’accédants à la propriété des années 1970. Elles constituent un fort potentiel d’accroissement de la population âgée pour les années 2020-2040. L’onde de peuplement-rajeunissement se transforme ainsi en une trentaine d’années en onde de vieillissement démographique et de gérontocroissance puisque chaque couronne de l’agglomération subit successivement ce phénomène. Cette onde de vieillissement, partie du centre ville au cours des années 1990-2000, affecte aujourd’hui les proches banlieues des grandes villes françaises pour se diriger, ensuite, vers la couronne externe de banlieue vers 2030. Le potentiel de croissance de la population âgée des couronnes de banlieue est considérable car les générations en cause dans ce processus appartiennent aux classes d’âges pleines issues du baby-boom.
Or, les banlieues des villes françaises ont été conçues pour des populations jeunes et mobiles sur un principe de segmentation de l’espace entre des zones résidentielles, des zones commerciales, des zones d’activité ou encore des zones récréatives. Les espaces résidentiels des banlieues disposent le plus souvent de peu de services de proximité. Il s’agit généralement de vastes lotissements ayant pour seule fonction la fonction résidentielle. Le fonctionnement de ces banlieues repose donc sur un recours quotidien à l’automobile. Or, les individus âgés dont la vue et les réflexes s’amenuisent avec l’avancée en âge ont tendance à limiter l’usage de l’automobile. Avec l’avancée en âge, ces personnes ont tendance à se replier sur un espace de vie de plus en plus restreint. Les personnes âgées vivant dans les banlieues peuvent ainsi se trouver isolées du reste de la ville ce qui renforce leur sentiment de dépendance. Les transports urbains sont actuellement organisés en fonction de la population active. De manière générale, ils permettent des liaisons entre les zones résidentielles de banlieue et les pôles d’emploi. Le vieillissement démographique des populations des banlieues demande une réorganisation des transports urbains. Le développement de relations adaptées entre les zones résidentielles et les zones commerciales ou les zones récréatives au cours de la journée permettraient aux personnes âgées de rester en contact avec le reste de la ville. Il semble également intéressant d’interroger les personnes âgées sur leurs besoins de transport et leurs attentes afin que les services mis en place répondent réellement à des besoins et soient véritablement utilisés. La question des relations intergénérationnelles peut également être posée. En effet, la logique d’extension spatiale des agglomérations rejette les jeunes ménages vers la périphérie tandis que les personnes âgées résident plutôt en proche banlieue. Cette disposition spatiale augmentant la distance entre les générations ne favorise pas le resserrement des liens intergénérationnels. De même, les jeunes couples résident souvent en périphérie des villes à l’écart des pôles d’emploi ce qui leur impose des navettes domicile travail importantes et coûteuses tandis que les personnes âgées occupent des logements adaptés pour des familles avec enfants à proximité des lieux de travail ! Le déplacement du vieillissement démographique pose également la question de l’adaptation de la localisation des équipements spécifiques. Les maisons de retraite, les laboratoires d’analyse, les spécialistes, les hôpitaux de long séjour se localisent préférentiellement au centre ville. Dans les années à venir, les services pourraient s’adapter à la nouvelle position des individus âgés dans la ville. En effet, certaines communes de banlieue connaîtront un doublement voire un triplement de leur population de 80 ans ou plus en une dizaine d’années. Des équipements spécifiques devront alors être construits dans un délai extrêmement court. Le déplacement du vieillissement vers la périphérie de plus en plus lointaine pose la question du déplacement corrélatif des équipements spécifiques. Comment adapter au mieux l’offre de service face à ce déplacement constant de la demande, sachant que les populations âgées ont souvent une mobilité réduite, un espace de vie peu étendu et que toute modification de l’espace de vie est souvent vécue comme un déracinement ? Enfin, à l’échelle locale, le vieillissement démographique générera vraisemblablement une forte croissance des besoins en service de proximité sur laquelle il sera possible de fonder une politique locale de développement économique. En effet, si les populations très âgées disposent à l’heure actuelle de revenus limités, il n’en va pas de même pour les générations qui arriveront au sein de la population très âgée dans les décennies à venir. Ainsi, le secteur des services à la personne, qui emploie une main-d’œuvre importante, pourra vraisemblablement se développer
L’usage des nouvelles technologies (internet) qui se généralisera au sein de la population âgée par l’arrivée des nouvelles générations, devrait permettre des innovations importantes dans ce secteur. Les grands groupes de distribution ont déjà compris l’enjeu du vieillissement de la population. Ils aménagent leurs points de vente, développent des services à la clientèle tels que la livraison à domicile ou l’acheminement du client depuis son domicile, et réfléchissent au besoin de proximité qu’éprouvent certains clients. Ils craignent que les générations futures de personnes âgées qui disposeront de revenus confortables, se détournent de leurs enseignes localisées en périphérie au profit du commerce de proximité. La question de l’adaptation des logements au vieillissement des individus peut également être posée. En effet, la perte progressive de mobilité de l’individu âgé impose des aménagements au sein du logement. La présence de marches dans le logement peut constituer un obstacle important pour la personne âgée. De nombreuses chutes parfois mortelles ou très invalidantes surviennent dans des escaliers. La salle de bain doit également être réaménagée pour limiter au maximum les risques d’accident domestique et favoriser le confort des personnes âgées. Or, les logements construits dans les proches banlieues des villes françaises ont été conçus pour de jeunes ménages. Il s’agit, le plus souvent, de maisons de lotissement avec des chambres et une salle de bain à l’étage, un garage et un jardin. Ces logements sont souvent inadaptés au vieillissement des individus et demandent des aménagements considérables lorsque le résidant âgé n’est plus capable de se rendre à l’étage. Le déménagement dans un logement adapté semblerait être une solution. Cependant, n’oublions pas que l’individu âgé est souvent très attaché à son logement. Il en est souvent propriétaire, y réside depuis plus d’une trentaine d’années, y a élevé ses enfants et a eu le temps de développer un réseau de sociabilité dans un environnement proche. Pour lui, le déménagement est souvent considéré comme un déracinement, une rupture avec son espace de vie. Deux cas de figure peuvent alors être constatés : l’individu âgé demeure dans son logement en y effectuant des aménagements en fonction de ses capacités financières (si celles-ci sont limitées les aménagements seront minimes et l’individu aura du mal à garder son autonomie) ; ou la personne âgée déménage, le plus souvent à très courte distance, au sein d’une même commune ; ces migrations peuvent être envisagées à condition qu’une offre de logements, plus adaptée aux attentes de la population âgée, existe à proximité du domicile. Le développement de logements adaptés (physiquement et financièrement) aux personnes âgées, en banlieue, à proximité des lieux de vie actuels des jeunes personnes âgées et des services accessibles, peut répondre aux attentes de cette population, mais ne concernera que des effectifs limités.
L’arrivée des classes d’âges pleines issues du baby-boom au sein de la population âgée annonce une profonde modification de la géographie des lieux marqués par une forte présence de population âgée. Jadis concentré dans les espaces ruraux, le vieillissement démographique affectera avec force et inéluctablement les espaces urbains. Cette évolution démographique est tout à fait prévisible et quantifiable. Cependant, sera-t-elle prise en compte par les acteurs de l’aménagement ? La crise du COVID19 a montré les limites du placement des personnes âgées en EHPAD qui reste par ailleurs insoutenable financièrement au vu de la très forte augmentation du nombre de personnes très âgées dépendantes au cours de la prochaine décennie. Dans ce contexte l’adaptation de la ville au vieillissement devient impérieux !
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
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