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loris.schiaratura[at]univ-lille[POINT]fr1. Contexte scientifique
La maladie d'Alzheimer (MA) et les syndromes apparentés sont une priorité de santé publique. On peut évaluer à 850.000 les personnes de plus de 65 ans touchées en France par la maladie et ce nombre progresse directement avec le vieillissement de la population (Helmer, Pasquier & Dartigues, 2006). Si les troubles les plus manifestes sont d'ordre cognitif (mnésiques, attentionnels, gnosiques, linguistiques et praxiques), l'entourage et le personnel soignant rapportent également une altération des capacités de communication du malade. Celle-ci a pour effet de rendre difficile, pour le malade, l'expression de ses besoins et, pour l'entourage, l'assurance d'y répondre de manière appropriée.
L'objectif de ce projet est d'aborder conjointement deux aspects de la communication jusqu'ici considérés indépendamment l'un de l'autre :
- le premier aspect se centre sur le registre verbal et non verbal du patient lui-même. Le but est d'identifier ce qui est altéré ou préservé dans chacun des deux registres et d'observer comment le non verbal peut compenser certaines pertes langagières, en se centrant en particulier sur les gestes liés au discours ;
- le second aspect se centre sur l'échange conversationnel entre le patient et un interlocuteur sain, en prenant en compte la production de l'information et sa compréhension par chacun des partenaires.
Le but est d'analyser comment se régulent les composantes verbales et non verbales de l'échange. Il s'agit de mettre en évidence les éventuels malentendus communicationnels, les facteurs les favorisant, et les réactions des deux parties à ces malentendus. L'analyse porte en particulier sur les comportements non verbaux liés à la régulation de l'interaction, tels que le regard, les expressions faciales, la posture et les gestes d'interaction. La communication repose sur un échange dynamique de pensées et de sentiments qui fait appel à la fois au canal verbal (i.e. les mots) et au canal non verbal (i.e. le regard, les expressions faciales, les gestes, la posture, le ton de la voix et la gestion de l'espace interpersonnel). La communication non verbale nécessitant peu de ressources cognitives (Phillips, Tunstall & Channon, 2007), on peut penser qu'elle reste présente même à des stades avancés de la MA (Schiaratura, 2008). Mais elle est difficile à interpréter en dehors de son articulation avec le registre verbal et donne souvent lieu à des erreurs d'analyse.
Par ailleurs, la MA affecte la dimension pragmatique du langage (Feyereisen, Berrewaerts & Hupet, 2007). Une situation de conversation permet l'échange d'informations, d'opinions, de sentiments et favorise le développement et le maintien des relations sociales. L'échange conversationnel se fonde sur la relation sociale entre les partenaires et il obéit à certaines règles qui instaurent des attentes réciproques (Kerbrat-Orrechioni, 1996). Or, on peut faire l'hypothèse que les scripts conversationnels verbaux et non verbaux, qui ont été intériorisés, sont activés automatiquement et subsistent même à un stade avancé de la maladie. Cependant, dans ce domaine, la communication non verbale reste largement inexplorée (Derouesné, 2005). Les rares recherches qui se sont intéressées aux atteintes communicatives dans la MA en y incluant la dimension non verbale se sont généralement limitées aux expressions faciales émotionnelles considérées en dehors de tout contexte de communication. L'originalité de ce projet est de pallier ces limites, en étudiant l'articulation des comportements verbaux et non verbaux dans un contexte social de communication interpersonnelle et en ne limitant pas l'étude des comportements non verbaux aux seules expressions faciales.
2. Description du projet, méthodologie
Afin d'analyser l'articulation des registres verbaux et non verbaux en situation d'interaction interpersonnelle, nous filmerons des personnes souffrant d'une atteinte modérée de la maladie d'Alzheimer (n=15) et des personnes saines (n=15), appariées en sexe, âge et niveau socioculturel, en situation d'interaction verbale avec une personne adulte saine. Deux tâches portant sur un même matériel pictural leur seront proposées successivement.
Dans la première, le participant choisira une image et expliquera à son interlocuteur les raisons de sa préférence. La seconde tâche se centrera sur l'échange conversationnel entre le participant et son interlocuteur, chacun choisissant son image préférée et expliquant à l'autre les raisons de ce choix.
Chacune de ces tâches sera filmée et le corpus verbal sera retranscrit. Les analyses porteront sur les registres verbaux (i.e. analyse linguistique du contenu de l'échange et analyse des aspects pragmatiques de la conversation), les registres non verbaux (i.e. décodage des expressions faciales émotionnelles, de la gestualité, du regard, du contact visuel et des comportements posturaux et de proxémie) et leur articulation (par incrustation et défilement synchronisé de la transcription écrite sur la vidéo).
3. Résultats attendus
Cette étude permettra d'évaluer la compétence communicative des patients Alzheimer et d'établir le répertoire des comportements verbaux et non verbaux encore disponibles. Elle permettra d'identifier les erreurs d'interprétation et d'analyser leurs sources pour, à plus long terme, mettre en place des programmes de formation destinés à l'entourage familier du patient et au personnel soignant.
La compréhension de la communication de la personne atteinte de la MA et des conditions qui l'influencent est essentielle pour améliorer la qualité de la relation sociale et le bien-être des patients et des soignants.
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