Les 15-17 octobre 2018, la Maison européenne des sciences de l'homme et de la société organise, en collaboration avec Humanistica, l'association francophone des humanités numériques, la cinquième édition de sa manifestation scientifique annuelle dédiée aux humanités numériques. En 2018, deux jours de colloque sont proposés autour du thème Matérialités de la recherche en sciences humaines et sociales, suivis d'une journée d'ateliers organisée par Humanistica.
Matérialités de la recherche en sciences humaines et sociales
Abstraction réifiée, « le numérique » offre un terme-parapluie qui englobe des méthodes, des objets, des technologies, des instruments, des environnements, des mutations... Non seulement ces usages multiples débouchent sur un vague sémantique, mais ils encouragent aussi la perception d’une prétendue immatérialité. Or la quête du tangible, voire de (nouvelles) matérialités, est précisément au cœur de la littérature des humanités numériques. Ainsi en est-il, par exemple, de la notion de tactilité, que l’on entend parfois dans le terme anglophone « Digital Humanities », et qui fait l’objet des débats francophones autour de l’usage du terme « humanités digitales » face aux « humanités numériques » (Le Deuff 2014, Clivaz 2017). Dans un autre registre, on évoquera les débats sur la prétendue opposition entre le hack et le yack qui, le goût pour la provocation mis à part, sont davantage révélateurs d’une orientation réelle du domaine des humanités numériques vers la pratique et la réalisation de dispositifs (Nowviskie 2016, Mounier 2015). Enfin, cette même quête du tangible se profile derrière la définition des humanités numériques en tant que communauté de pratique qui se retrouve autour de méthodes et d’outils (Dacos 2011, Gold 2012).
Vus sous ce dernier angle, les outils sont précisément des productions qui matérialisent une pratique devenant, de ce fait, des indicateurs qui permettent d’identifier une communauté (Wenger 1998). Leur importance pour les humanités numériques est considérée comme cruciale (Kemman, Kleppe 2015). Bien que central, le terme reste néanmoins peu précis dans la littérature du domaine. Les outils sont l'un des objets des activités de recherche qui appliquent des méthodes numériques en sciences humaines et sociales suivant la taxonomie TaDiRAH. Ils sont plus précisément définis comme des instruments permettant d’accomplir certaines tâches ou actions, qui peuvent être matériels (des objets physiques) ou immatériels (des programmes informatiques), dans le cadre de l’ontologie NeMO. Sur DIRT, répertoire d’outils numériques dédiés à la recherche, le terme renvoie aux ressources qui vont « des systèmes de publication de contenus à la reconnaissances optique de caractères en musique, en passant par les packages d’analyse statistique aux logiciels de mindmapping ». Dans ce sens, les outils couvrent essentiellement l’univers des techniques qui sont employées dans le cadre des recherches en sciences humaines et sociales.
D’un point de vue plus général, ces productions renvoient au concept des lieux de savoir, ceux-ci étant « également les instruments, les outils, les échantillons, les machines, qui accompagnent les gestes de la main et ouvrent de nouvelles dimensions à la perception et à la pensée humaines » (Jacob 2014). C'est alors dans ce sens élargi que la notion d’outil renvoie à l’un des aspects les plus importants des humanités numériques, à savoir les infrastructures (Kirschenbaum 2016, Kirschenbaum 2008). S’il n’y a pas de consensus sur la définition de l’infrastructure de recherche, le terme recouvre généralement à la fois les dispositifs d’appui à la recherche, les services offerts suivant une politique et les communautés scientifiques qui en font l’usage (Feuille de route du MENESR 2016, American Council of Learned Societies 2006, OECD 2008 et 2010). Ce sont donc à la fois des installations physiques, des technologies, des services et des humains qui sont mis en jeu.
C’est plus particulièrement cette dernière composante que nous souhaitons aborder lors de la présente édition du colloque #dhnord: les humains et leur expérience de ces dispositifs en fonction des besoins qui émergent des activités liées à la recherche. Admettant que les infrastructures de recherche sont des environnements dynamiques qui encouragent les synergies intellectuelles et scientifiques, l’utilisation des technologies numériques, le développement d’outils, l’évolution des pratiques d’éducation et de communication, il alors est possible de les concevoir comme des écosystèmes de recherche (Benardou et al. 2018). Ainsi, nous encourageons les propositions qui portent sur les « espèces » qui habitent ces écosystèmes, qui investissent ces lieux de savoir pour mettre en lumière leurs perceptions, leurs pratiques, leurs besoins, leurs sociabilités scientifiques. L’objectif est de repérer les effets structurants de ces environnements sur la manière de faire la recherche en sciences humaines et sociales aujourd’hui ; sur les besoins propres aux recherches sur projet ; sur le vécu des communautés scientifiques ; sur les liens entre recherche et enseignement ; sur les besoins de formation qui émergent dans ces contextes; sur les réseaux et les collaborations, parfois les tensions, qui voient le jour dans ces zones d’échanges.
Les propositions (max. 1000 mots) sont à déposer jusqu’au 10 mai 2018 31 mai 2018.
Références
Rocco Agrifoglio, Knowledge Preservation Through Community of Practice, SpringerBriefs in Information Systems, 2015. DOI 10.1007/978-3-319-22234-9_2
Agiatis Benardou, Erik Champion, Costis Dallas, Lorna M. Hughes, Cultural Heritage Infrastructures in Digital Humanities, Routledge, Abingdon, Oxon., New York, 2018
Claire Clivaz, "Lost in translation? The odyssey of 'digital humanities in French", Studia UBB Digitalia, 62, 1 | 2017, 26-41
Marin Dacos, « Manifeste des Digital Humanities » , carnet de recherche THATCamp Paris, 26 mars 2011
Olivier le Deuff (dir.), Le temps des humanités digitales, Éditions FYP, 2014
Nadia Eghbal, Roads and Bridges: The Unseen Labor Behind Our Digital Infrastructure, The Ford Foundation, 2016
Matthew K. Gold (ed.), Debates in the Digital Humanities, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2012
Christian Jacob, Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? Marseille, OpenEdition Press, 2014
Max Kemman, Martijn Kleppe, "User Required? On the Value of User Research in the Digital Humanities", CLARIN 2014 Conference, October 24-25, 2014, Soesterberg, The Netherlands, 2015
Matthew G. Kirschenbaum, Mechanisms. New Media and the Forensic Imagination, Cambridge, Mass., The Massachusetts Institute of Technology Press, 2008
Matthew G. Kirschenbaum, Track Changes: A Literary History of Word Processing, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 2016
Pierre Mounier, « Une « utopie politique » pour les humanités numériques ? », Socio [En ligne], 4 | 2015, mis en ligne le 01 septembre 2015, consulté le 12 février 2018. DOI : 10.4000/socio.1451
Bethany Nowviskie, "On the Origin of “Hack” and “Yack” in Matthew K. Gold, Lauren F. Klein (dir.), Debates in the Digital Humanities 2016, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2016
Etienne Wenger, Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity, Cambridge, Cambridge University Press, 1998
"Day of DH: Defining the Digital Humanities" in Matthew K. Gold (dir.), Debates in the Digital Humanities, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2012
Our Cultural Commonwealth. The report of the American Council of Learned Societies Commission on Cyberinfrastructure for the Humanities and Social Sciences, 2006
Stratégie nationale des infrastructures de recherche, MENESR, édition 2016
Horizon 2020 Work Programme 2018-2020. European research infrastructures, European Commission, 2017
Report on Roadmapping of Large Research Infrastructures (2008); Report on Establishing Large International Research Infrastructures: Issues and Options, OECD, 2010
Dans le prolongement de #dhnord, l'association Humanistica propose une journée de travail en commun aux membres de la communauté des humanités numériques et/ou aux simples curieux sur la thématique des « données à jouer ». La journée s’ouvrira avec la présentation d’un artiste dont les données sont au coeur du processus de création. La matinée, sous forme d’un data sprint, sera consacrée à la création collective d’une cartographie des humanités numériques dans le monde francophone d’un point de vue historique. L’après-midi sera constituée d’ateliers parallèles. Si vous le souhaitez, vous pouvez proposer au comité d’Humanistica un sujet d’atelier. Nous attirons l’attention que ces ateliers doivent aboutir à la création d’un travail collectif et ne pas constituer des présentations de projets. Cette journée et ses résultats seront l’occasion d’une nouvelle rubrique dans la revue Humanités numériques avec la mise à disposition de jeux de données constitués lors des différents ateliers.
Les propositions sont à déposer jusqu’au 10 mai 2018 31 mai 2018. Merci de mentionner un titre, un résumé d’une vingtaine de lignes (environ 300 mots) présentant les données concernées ainsi que les problématiques et les objectifs envisagés.
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