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fbraffin[at]gmail[POINT]comSocio-anthropologue, Fabrice Raffin, 49 ans, a été lauréat de l’AAP « Mobilités internationales sortantes » de la MESHS en 2019. Il est maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne et membre du laboratoire Habiter le Monde depuis 2011. Sa connaissance des milieux alternatifs et squats de Berlin l’amène à travailler pour le Ministère de la Culture dès 1996. Spécialiste des questions mêlant culture, art et requalification urbaine, la musique prend une place de choix dans ses recherches. Ainsi, il découvre la présence d’une scène botswanaise de musique métal. L’idée d’un projet de recherche au pays des Tswana fait son chemin : le terrain est déjà repéré… Comment se concrétise un projet de recherche en plein désert du Kalahari ? Témoignage.
Au nom de la MESHS, merci d’avoir accepté cette interview.
C’est avec grand plaisir !
Comment avez-vous connu l’appel à mobilité de la MESHS ?
C’était dans le cadre d’une réunion de laboratoire.
Aviez-vous déjà effectué une mobilité pour votre projet de recherche, avant celle de MESHS ?
Non. La mobilité de la MESHS était une opportunité. Cela faisait trois ou quatre ans que j’avais repéré le terrain du métal au Botswana, qui ouvrirait de nouvelles perspectives à mon travail, mais je n’avais pas les moyens d’y aller… Je n’étais jamais allé en Afrique. J’ai alors eu une démarche de contextualisation en tissant des liens avec l’Université de Gaborone et simultanément une démarche ethnographique en m’immergeant dans le pays sans connaître personne. J’ai atterri à Gaborone et j’ai suivi les évènements, les personnes rattachées à la scène métal du Botswana et au Overthrust Winter Metal Festival. Je suis parti grâce au financement de la MESHS et j’ai loué un 4x4 avec une tente sur le toit. J’ai pu dormir chez l’habitant à l’occasion et rarement à l’hôtel, parce que le budget est serré.
Vous parlez de budget serré : avez-vous obtenu un autre soutien financier pour votre projet ?
J’ai eu le financement MESHS en début d’année, vers janvier, et suis parti en avril. Je n’ai pas eu le temps de chercher d’autres partenaires à ce moment. Mon laboratoire, de son côté, n’a pas pu contribuer beaucoup, par manque de moyens.
Qu’est-ce que la mobilité vous a permis de réaliser de manière concrète ?
Le billet d’avion, la location de la voiture : je n’aurais jamais pu faire de terrain sans la MESHS, ça c’est sûr ! Cela m’a d’ailleurs étonné d’être retenu puisque ce projet ne concerne pas des réalités propres aux Hauts-de-France. J’ai été agréablement surpris de l’ouverture de la MESHS à l’international.
Dans quelle mesure la mobilité vous a-t-elle permis de développer votre recherche ?
J’ai pu effectuer un travail sur la mondialisation in situ à propos des flux culturels, concept développé par Ulf Hannerz. En ayant accès à ce terrain, j’ai pu expérimenter, donner du sens et du corps à ce concept pour comprendre comment, au milieu de l’Afrique, des gens se saisissent de formes culturelles plutôt occidentales, avec toute une réinterprétation des codes dans un contexte africain. L’apport de cette mobilité, c’est un apport de connaissances in situ, précises, ethnographiques, scientifiques.
Quels défis et difficultés avez-vous rencontrés durant votre déplacement (temps, moyens, imprévus…) ?
Je parlerais de difficultés de gestion financière : on y réfléchit tout le temps ! Le budget pour une mission comme celle-là peut être délicat à gérer : ça m’a aussi coûté de l’argent personnel. Dans la mobilité elle-même, le dossier et les démarches administratives, gérées par la MESHS, sont simples et fluides. C’est important pour la recherche. De l’argent, il y en a mais les procédures sont souvent compliquées et longues, ce qui décourage les chercheurs. C’est cela qui donne de l’inertie à la dynamique de la recherche.
La durée de ce séjour (un mois) a-t-elle été suffisante ?
En ethnologie ce n’est jamais suffisant : pour un projet comme cela, il faut y retourner. Les appels à mobilité auraient du sens à être renouvelables selon moi. Pour ce projet, c’est un terrain exploratoire : il faudrait a minima six mois. Et en même temps c’est compliqué pour un universitaire de partir six mois d’un coup. S’il existait un moyen de renouveler la mission à deux ou trois mois d’intervalle, cela serait intéressant.
Quelles sont les réalisations à court et moyen termes concrétisées à l’issue de ce séjour de recherche ?
Mon Habilitation à Diriger des Recherches, que je suis en train de préparer. Les pratiques culturelles invisibles constituent des problématiques de celle-ci : comment des personnes peuvent-elles se saisir du métal comme affirmation identitaire, dans des régions si éloignées ? C’est un élément de valorisation de mon HDR que je soutiendrai en 2021. J’étais également parti avec l’accord de The Conversation pour la publication de l’article. Je prépare également une valorisation plus académique, avec trois articles en préparation. J’ai aussi un projet de film documentaire ethnographique, pour 2021 : l’équipe est prête mais l’argent manque. Je pense alors qu’il y aurait une cohérence à développer des projets et ne pas rester sur un « one shot ». La mobilité a initié une démarche et, là, il y a du potentiel.
Vous avez constitué une équipe pour un futur film documentaire. En dehors de celle-ci, est-ce que des liens, partenariats, projets, sont nés avec les structures accueillantes ?
ll y avait un projet de séminaire avec les personnes de l’université sur la musique, la culture et la religion. Mais, faute de moyens, le projet est en attente pour le moment, le temps de trouver un financement.
Vos recherches ont-elles vocation à être vulgarisées auprès d’un plus large public ?
Je fais de la vulgarisation exigeante. Je n’enlève rien au contenu de mes recherches ; seule la manière de les raconter diffère. Je m’adapte au public. J’ai notamment écrit dans les médias, pour Le Monde, le Courrier Picard. Il y a une possibilité de rendre la recherche compréhensible pour le grand public. Le projet du documentaire participe à cette démarche.
Parlons un peu de l’actualité : dans les circonstances sanitaires actuelles, comment voyez-vous l’évolution à court et moyen termes pour les mobilités internationales dans le contexte scientifique ?
Je devais partir au Congo au mois de décembre pour un projet de recherche sur l’Afrodance… Si les organismes arrêtent de financer la mobilité ça me désabuserait : il faut un minimum de courage !
Avez-vous un conseil à adresser à la MESHS concernant ce programme ?
Continuez ! Je remercie la MESHS d’avoir financé un projet si peu commun. Cette mobilité a permis de créer des liens avec l’Université du Botswana, on reste en contact, cela structure des réseaux scientifiques internationaux. Je pense qu’il faudrait que les mobilités soient renouvelables et/ou leurs prolongements accompagnés, sur justification scientifique. On rentre parfois satisfait mais aussi frustré après une mobilité exploratoire, car on souhaiterait recueillir plus de données, de matériaux de recherche et conforter les liens créés.
L’interview touche à sa fin : que retenez-vous de ce séjour ?
C’était une opportunité de recherche excellente ! Vous vous êtes montrés ouverts pour financer un projet de recherche fondamentale et ce, sans retombées techniques, pratiques a priori. C’est aussi une expérience professionnelle qui m’a ouvert à l’Afrique. J’avais travaillé dans le passé en Asie et beaucoup en Europe. Je travaille actuellement sur les liens entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe à travers la musique et notamment l’Afrodance, avec un projet de voyage au Congo. Cette mobilité a nourrit mon parcours de recherche. C’est important de le dire. Je salue également la démarche de la MESHS pour le retour d’expériences. C’est important, cela donne de la crédibilité et du respect à la démarche des chercheurs et au programme. On ne nous demande jamais comment ça s’est passé. Il y a une attention portée à la démarche du chercheur qui n’est pas feinte : on ne rentre pas juste dans les statistiques !
Référence :
Fabrice Raffin, « Un festival de Black Metal au Botswana », The Conversation, 09/07/2019
En savoir plus :
https://www.fabriceraffin.com/
Entretien réalisé par Jaymes Kalala, MESHS, juillet 2020.
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