Depuis quelques années, il est commun de signaler le déclin du paradigme néoclassique qui s'était structuré dans les années 1930-1940, au profit d'un nouveau paradigme : l'économie comportementale (Behavioral economics). L'économie comportementale se présente d'abord comme une entreprise de déconstruction de la rationalité instrumentale et substantive des agents, qu'elle étudie désormais dans des contextes cognitifs et sociaux variés, sans souci de généralisation a priori. Cette présentation schématique soulève trois questions majeures, qui seront l'objet de ce projet de recherche.
- Comment l'économie comportementale est-elle apparue et s'est-elle structurée au point de devenir, en quelques années, un champ de réflexion totalement intégré au paysage de la recherche et de l'expertise économique ?
- Quels sont les retournements épistémologiques qui ont rendu possible la pénétration de l'économie comportementale au coeur de la discipline ? Une incursion des méthodes de la psychologie ? L'influence du réalisme méthodologique ? La recherche d'une intervention publique ciblée ?
- Quelles sont les conséquences, pour la théorie économique, d'une reconstruction à partir de l'économie comportementale ? Est-elle conciliable avec les grandes représentations fondatrices de l'analyse économique moderne : la confrontation d'une offre et d'une demande ; la distinction entre microéconomie et macroéconomie ; la représentation synthétique des agents (producteurs, consommateurs, travailleurs) ?
Dans le cadre de ce projet émergent, je souhaite engager une réflexion historique et méthodologique en me concentrant sur un élément central de la théorie économique : la théorie du consommateur.
D'un point de vue historique, la théorie du consommateur s'est développée en s'émancipant de certaines hypothèses psychophysiques jusqu'à atteindre sa formulation la plus achevée avec Samuelson. C'est à ce moment là qu'une réflexion critique sur la normativité du modèle et sur sa pertinence descriptive a vu le jour (Georgescu-Roegen, Marschak, Quandt), en partie sous l'influence d'échanges entre économistes et spécialistes de psychologie expérimentale. On cherchera à tracer le chemin des collaborations entre économistes et psychologues qui ont mené à la naissance de l'économie comportementale et à la remise en cause du modèle général adopté au milieu du XXe siècle.
D'un point de vue méthodologique, on s'interrogera sur les conséquences lourdes associées au développement de l'économie comportementale. En introduisant une variété très grande d'éléments influençant les choix, en détruisant le concept ordinaire de préférences, en critiquant l'identification entre préférence et choix, la psychologie - relayée par des critiques de nature philosophique - a modifié profondément la sémantique de la théorie du consommateur et sa destination au sein de la théorie de l'équilibre économique. Cet aspect de la question n'a pas été abordé frontalement jusqu'à présent.
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