Rarement il aura été aussi souvent question de la richesse que ces dernières années. Temps de crise oblige, sans doute. Derrière les propos sur l'affichage outrecuidant des biens, sur la place prépondérante de l'argent et sa main mise sur les désirs, sur le caractère ostentatoire du plaisir et du raffinement, on entend surtout le problème social: comment accepter l'abondance déculpabilisée quand les écarts de moyens se creusent, quand une partie croissante de la population se voit privée de biens élémentaires. Les grandes fortunes se porteraient bien, tandis que les classes moyennes souffriraient d'un déclassement lent et permanent sans parler de ceux rejetés sur les marges et n'alimentant même plus les statistiques. Mais étonnamment, ce qui vaudrait pour les individus (une suspicion à l'égard des riches venant briser un pacte social basé sur un certain respect de l'égalité) ne vaudrait pas pour les États. On regarde avec un peu de distance les États du sud de l'Europe s'affaiblir ou sombrer, on souhaiterait à son propre pays une santé toute nordique! On l'incite au courage industriel et à l'innovation, à la production de richesses. La concurrence, si délétère au plan social et méritant de fermes compensations (social-démocratie), semble être le fatum d'une économie mondialisée. Si le risque social d'une richesse non partagée est la révolution, le risque mondial d'une richesse et d'une productivité comme modèle de fonctionnement est le dérèglement écologique de la planète. Comment peut-on donc être riche?
En ces temps de durcissement et d'affolement des discours, animés par un légitime sentiment d'urgence, quelques pas de recul et un moment de réflexion sur ce qu'est la richesse nous ont semblé s'imposer. Il ne fallait pas moins d'un Printemps des SHS pour aborder cette question de société, pour dessiner un parcours dans cette réalité économique, politique, dans cette notion d'éthique et de philosophie.
À ce parcours, nécessairement sinueux, il fallait un point de départ. Nous avons choisi la nature. Non pas seulement parce que la question environnementale est omniprésente, mais d'abord parce qu'il s'agit là du «bien commun» par excellence, de ce qui est donné, à tous, sans partage ni distinction. Nous avons invité Catherine Larrère (25 mars), philosophe, dont l'oeuvre pense et décrit les rapports entre nature, richesse et économie. Si l'homme peut se dire riche de la nature, dont il s'est fait maître et possesseur, est-il bien sûr d'en «maîtriser la maîtrise»1? Passe-t-on sans risque majeur de la notion de bien commun à celle de richesse, puis à celle de ressource ? C'est donc par une question d'éthique environnementale tournée vers notre lieu de vie que s'ouvrira ce cycle de réflexion.
La plupart des disciplines des sciences humaines et sociales seront invitées. Nous nous demanderons de quoi nous sommes riches, lorsque nous sommes riches. Être riche se mesure-t-il au fait de satisfaire ses désirs (26 mars), existe-t-il une bonne consommation? La richesse suppose-t-elle le produit? Peut-on être riche aussi de ce que l'on donne? Et si la richesse a bien un sens et une mesure, sommes-nous capables de l'évaluer, en avons-nous les outils (8 avril) ? Nous nous aventurerons du côté des représentations de la richesse au cinéma (27 mars, 3 avril), l'histoire - y compris la plus ancienne (1er avril) - nous informera sur les richesses littéraires (27 mars, 15 avril) et gustatives - goûter la richesse ne sera pas la moindre des expériences de ce Printemps (15 avril, sur réservation). La question de l'envie sera au programme (3 avril), la question artistique également, ce triangle que l'on souhaiterait vertueux entre richesse, art et collectionneurs (7 avril). Le sport (2 avril) ne saurait être oublié tant il cristallise aujourd'hui la question financière et rejoue tous les ans le géant mercato. On s'interrogera sur les effets de la globalisation (10 avril), sur le tournant du capitalisme (financier) et son incidence sur la vie des entreprises (16 avril), sur les rapports de force, d'exclusion et de domination qu'implique le creusement des écarts de richesse (31 mars). On s'arrêtera sur un phénomène de santé publique qui dépasse de loin les frontières des pays: le riche n'est pas celui qui mange le plus, mais le mieux : l'obésité et son évolution témoignent d'une rupture dans les habitudes alimentaires (9 avril).
Nous invitons le public à nous suivre sur la durée de ce cycle conçu pour les publics les plus larges, car la richesse ne saurait se saisir en un seul coup d'oeil. C'est en la parcourant, en saisissant toutes les esquisses proposées ici qu'une vision juste, pondérée, informée s'en dégagera.
L'accès à l'ensemble de ces «riches rencontres» est libre et gratuit.
Frédéric Gendre
MESHS, médiation scientifique
1 Du bon usage de la nature, Catherine et Raphaël Larrère, Paris, 2009
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