Journée d'étude pluridisciplinaire - Arts, Informatique, Sociologie, Communication
Jeudi 21 janvier 2010, 8h30-17h30 - MESHS, Espace Baïetto
Depuis le milieu des années 1980, un renouveau théorique s'est organisé autour de la sociologie des médias (professions, institutions, programmes et contenus) ainsi que d'une sociologie dite de la « réception », empruntant beaucoup aux « cultural studies », puis à une sociologie des « usages » des nouveaux objets de communication et d'information (magnétoscope, téléphonie, télévision, ordinateurs, télématique, domotique, etc.). Alors que la phase précédente tournait autour de la critique de la notion de massification, des travaux sur les nouveaux objets médiatiques, offrant une certaine « interactivité », vont se réorienter dans une perspective critique par rapport à la « pensée ingénieur » des concepteurs, mais sans négliger l'importance de la technique envisagée comme construction sociale. De nouvelles recherches ont pu ainsi montrer l'insertion et la transformation des usages à travers le social et relativiser le déterminisme technique, tout en reconnaissant la difficulté de l'exercice prospectif pour des usages encore à peine émergeants. Aujourd'hui, alors que l'interactivité est une dimension de plus en plus présente dans l'ensemble de nos dispositifs sociotechniques et implique de nouveaux modes de consommation et de relation aux médias et à l'industrie culturelle, à l'image du Web 2.0, il semble urgent de relancer l'examen des modalités de la participation du public.
À l'interface du spectacle vivant, du cinéma, des jeux vidéo et de l'Internet, un nombre croissant d'artistes propose en effet de réinventer les mises en scène et les modes de relations aux médias. L'objectif de cette journée d'étude serait de confronter ces stratégies artistiques aux tactiques de réception, techniques et sociales, mobilisées pour concevoir, véhiculer et agir des oeuvres-médias dont la carrière idéale suppose précisément que certains de leurs fragments demeurent potentiels ou à faire . L'art numérique engage en effet une expérience doublement perceptive et manipulatoire des oeuvres. Au-delà de son intérêt (et familiarité) pour cette forme d'art, le public doit y être convenablement appareillé : ce qui engendre un allongement des consignes et autres modes d'emploi préalables. L'équipement prescrit par l'artiste engage des savoir-faire inédits : téléchargement de nombreux plug-ins à installer et à paramétrer. Mais différents facteurs d'instabilité interfacielle, liés à la diversité de ces solutions d'écritures et de lecture informatiques (programmes et logiciels), renforcent le caractère aléatoire de l'expérience de l'oeuvre. Par conséquent, l'attention du public ne se borne plus au seul objet présumé de la visite (l'oeuvre), mais doit également porter sur les conditions techniques de sa réception.
Dans ce contexte de l'art numérique et du multimédia interactif, la conception, la diffusion et la réception de l'oeuvre deviennent indissociables puisque l'oeuvre est aussi ce qu'en fait le public en réponse au projet initié par l'artiste. Si l'on peut se donner en premier objectif l'examen des conditions de production des oeuvres interactives : le potentiel du support numérique et de la structure en réseau, les langages informatiques et leurs applications, le partage des compétences, etc. On ne doit pas laisser dans l'ombre la façon dont celles ci sont reçues, interprétées et agies par ceux à qui elles s'adressent, alors même qu'elles ont été précisément conçues en intégrant la participation attendue du visiteur. C'est donc sur le versant de leur « pratique » que cette journée souhaite s'investir. A la question « quel est ce public ? » se superpose ici la question des modes de relation aux oeuvres. Du côté des artistes, de quelle façon anticipent-ils des modes de relations avec les usagers - stratégies de fidélisation, tentatives de connaître les participants, etc. Du côté du public, qu'est-ce qu'être au contact de l'oeuvre dans ce contexte ? Qu'en est-il de l'acte de réception proprement dit ? Et comment rendre compte du vécu de la perception propre à ces dispositifs ?
Il émerge en effet, au coeur de ces arts et médias numériques, la nécessité d'un équivalent de ce qu'est en musique l'interprétation : entendue au sens de « pratique ». En s'étendant aux oeuvres d'art numériques le modèle performatif mis au point par la musique redéfini alors ce que l'on entend traditionnellement par « interprétation ». L'interactivité et la jouabilité y composent de nouveaux régimes sociotechniques d'interprétation d'oeuvres, à habiter et à expérimenter, qui se doublent d'un renforcement de l'activité d'écriture (du concept, du scénario) et génèrent une multitude de traces interprétatives que cette journée d'étude proposera de retracer et de documenter.
L'objectif de cette journée d'étude sera donc double : d'une part, en prenant comme laboratoire une série de projets de recherche et de création artistique, il s'agira d'observer les transformations médiatiques qui y sont à l'oeuvre ; d'autre part, une place centrale sera faite à l'examen des nouvelles relations médiatiques qui redéfinissent les contours des dispositifs et des pratiques artistiques contemporaines.
Ces relations médiatiques, l'implication et les pratiques du public pourront être approchées de différentes manières :
- par l'observation, en amont de la participation, de stratégies artistiques de captation et de fidélisation du public : contrats de réception et aménagement de prises sur l'oeuvre ;
- par l'examen des conditions potentielles de la participation du visiteur mises en scène dans des dispositifs informatiques : figures de l'interactivité ;
- par l'étude de la participation effective, des interactions et de l'implication sociale du public : modes d'interaction entre le média, l'oeuvre et son public ).
En amont d'une sociologie des jugements ou des valeurs, cette journée poursuit ainsi une double perspective : celle d'une « sociologie de l'action » qui permette d'observer les interactions entre acteurs et dispositifs et entre les acteurs eux-mêmes, compte tenu de la nature des médiations techniques ; celle d'une « sociologie de la communication et des médias » qui permette d'interroger l'expérience de la confrontation aux oeuvres. Notre intérêt se portera autant sur les médias que sur les arts explicitement interactifs - ou qui ne comprennent pas cette dimension technologique mais - qui proposent une participation active et même opératoire du spectateur : une pratique. Afin de mettre au jour ces dispositifs et pratiques médiatiques, l'originalité de cette journée d'étude sera de faire se rencontrer des chercheurs de disciplines académiques travaillant sur des objets communs mais de manière souvent isolée. Elle offrira l'occasion de rencontres interdisciplinaires à travers un croisement des méthodes et des regards entre sociologie, sciences de la communication et sciences de l'art.
Les différents intervenants sont invités à produire l'analyse d'une oeuvre et/ou d'un média praticable, en insistant sur la relation dispositif/pratique qui y est mise en oeuvre et sur les modes d'implication et d'action du public. L'enjeu est de réunir une somme d'études de cas et d'articles réflexifs pouvant donner lieu à publication. Un numéro spécial de revue ou un ouvrage collectif sont ainsi envisagés.
Jean-Paul Fourmentraux
Conception et coordination : Jean-Paul FOURMENTRAUX,
GERiiCO - Université Lille 3 et CESTA, EHESS Paris
URI/Permalink: