Par Marie Lefelle,
doctorante, GRAMMATICA, Univeristé d'Artois
Depuis plusieurs années maintenant le laboratoire Grammatica s’intéresse aux secteurs dits en tension dans la création de référentiel de compétences langagières. En effet, la langue au sein du milieu professionnel se modifie par rapport à la langue générale. Il existe à ce jour plusieurs référentiels de compétences langagières créés pour des professions dites « en tension », où les besoins en personnels ne sont pas satisfaits, c’est le cas de l’hôtellerie-restauration, du BTP, de l’hygiène et la propreté et bientôt de l’Aide à la personne. Ces référentiels de compétences langagières permettent de fournir des supports aux instituts de formation et à la recherche puisqu’ils sont composés de données brutes sous la forme de vidéos et d’audio transcrits (parfois avec quelques propositions de didactisation). Le référentiel de compétences langagières se révèle donc être un outil précieux pour les instituts de formation et les chercheurs puisqu’il fournit des données brutes prises en contexte qui correspondent à une véritable pratique du travail.
C’est dans cette dynamique que le laboratoire s’intéresse maintenant au domaine de l’aide à la personne en particulier chez les personnes âgées. Le domaine de l’Aide à la personne est un secteur en pleine expansion en France et dans le reste du monde du fait notamment du vieillissement de la population. Les besoins en personnels dans ce domaine y compris le recrutement de personnels étrangers pour couvrir ces besoins ne feront que progresser dans les prochaines décennies en raison du vieillissement de la population et en particulier auprès des personnes dites dépendantes (handicapées, polyhandicapées ou vieillissantes). L’objectif final de cette recherche est d’enrichir le dispositif de recherche sur les référentiels de compétences langagières et particulièrement pour penser le langage et l’action dans leur imbrication notamment dans les applications didactiques. Nous identifions l’aide à la personne comme toutes formes d’aides qu’un professionnel de l’aide peut réaliser dans le cadre de ses missions or nous le verrons cette aide revêt diverses formes. L’aide a ainsi pu être observée au sein d’un établissement de formation le lycée Joliot-Curie de Oignies pour comprendre comment elle était enseignée et en contexte professionnel au sein de l’EHPAD Stéphane Kubiak de Oignies. Dans ces situations d’aide les professionnels sont confrontés à la vulnérabilité sous la forme de dépendance physique de la personne âgée ou de troubles cognitifs qui impactent les actions et le langage de la personne âgée. Il s’agit donc de comprendre les implications de ces risques dans la prise en charge du professionnel. Il existe des risques inhérents à la pratique professionnelle dans le domaine professionnel de l’aide à la personne. Ces risques sont induits par l’âge de la personne âgée, son état physique, ses pathologies mais aussi d’autres caractéristiques bien plus personnelles comme la culture de la personne âgée, son caractère, ses tabous, ses attentes en termes d’aide. La composante humaine de la profession influe largement le langage et les actions du professionnel dans le domaine de l’aide à la personne, s’il fallait trouver une pratique mouvante il s’agirait sans doute de l’aide à la personne.
Ce domaine bien que fascinant place l’observateur extérieur face à un dilemme quasi insoluble, en effet comment trouver au sein d’une pratique mouvante (puisque le professionnel s’adapte constamment à la personne âgée qu’il a en face de lui) une définition satisfaisante de l’aide. L’aide est une notion floue quant bien même l’on tenterait de trouver une définition consensuelle, celle-ci s’exprime dans les faits de manière plurielle dans le langage et dans l’action du professionnel. Aider une personne âgée cela ne veut pas dire forcément l’aider dans les gestes qu’elle ne peut plus effectuer, l’aide est une notion bien plus vaste, être confronté à la vulnérabilité ce n’est pas seulement faire face à une personne âgée présentant une dépendance physique, en effet la dépendance s’exprime de différentes façons chez les personnes âgées. En prenant deux extrêmes, une personne âgée peut ainsi être dépendante physiquement mais lucide ou tout au contraire complétement autonome physiquement mais souffrant d’une maladie neurodégénérative en présentant des troubles du langage et de la confusion dans ses actions. Les vulnérabilités qui amènent la personne âgée dans un établissement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont plurielles, l’aide ne peut donc que s’adapter à des situations aussi diverses que les vulnérabilités en présence. L’entrée en établissement constitue souvent une épreuve pour la personne âgée car elle intègre un nouvel environnement, inconnu jusqu’alors pour elle, avec des règles, des coutumes, des horaires et de nouvelles personnes à intégrer dans son quotidien. En outre, l’entrée dans ce genre d’établissement signifie souvent que la perte d’autonomie est actée et que la personne âgée ne pourra plus vivre seule dans un environnement familier. Parfois même dans les cas les plus extrêmes lorsque les personnes âgées ne sont plus connectées au monde extérieur, cette entrée en établissement peut, ne pas être comprise. Or dans ce contexte, les professionnels s’efforcent de fournir une aide à ces personnes âgées en perte de repère. L’aide peut aussi parfois signifier simplement un soutien moral pour la personne âgée en souffrance, une aide dans ces conditions non pas physique mais morale. La pluralité de l’aide et des vulnérabilités en présence modifient donc les comportements des professionnels, or il est difficile pour un observateur extérieur de comprendre ces modifications sans avoir repérer auparavant les motivations qui amènent le professionnel à modifier son comportement ou pour reformuler sans comprendre ce que peuvent signifier les vulnérabilités. Celles-ci doivent donc être étudiées, catégorisées pour pouvoir comprendre les réactions des professionnels. La compréhension des vulnérabilités demande forcément un effort de conceptualisation réalisé en amont par l’observateur.
Comprendre l’aide c’est d’abord comprendre la pluralité des vulnérabilités, tout observateur se retrouverait sinon dans une forme de perplexité face à la multiplicité des comportements du professionnel que ce soit dans son langage ou dans ses actions. Or un professionnel de l’aide ne réagira jamais au hasard de la situation, dans une forme de chaos, en effet l’action et le langage du professionnel de l’aide à la personne sont toujours contrôlés. Dès lors que la multiplicité des vulnérabilités aura être intégrée et comprise par l’observateur extérieur, celui-ci pourra commencer à conceptualiser les réactions des professionnels dans un effort de compréhension qu’implique véritablement l’aide à la personne chez les personnes âgées face à la multiplicité des vulnérabilités. De plus un professionnel de l’aide n’est pas forcément appelé qu’à interagir avec des personnes âgées. En effet le professionnel de l’aide fait partie d’une équipe pluridisciplinaire qui comprend et mélange des professionnels de l’aide avec des professionnels de santé. Pour pouvoir interagir avec ces derniers, le professionnel de l’aide doit intégrer un langage professionnel spécialisé spécifique au domaine, or celui-ci diffère fondamentalement des interactions avec les personnes aidées, pourtant cette dernière compétence fait partie intégrante de sa pratique professionnelle. Par ailleurs parmi les réactions des professionnels aux vulnérabilités, s’intègre une composante culturelle. En effet que ce soit l’empathie, la capacité d’écoute, l’humour, ceux-ci s’expriment souvent de manière différente selon la culture intégrée. Prendre en compte la composante culturelle c’est aussi comprendre dans le comportement et les réactions du professionnel ce qui relève de la culture nationale, professionnelle ou collective. L’aide suppose donc des définitions multiples dans la pratique professionnelle et pour pouvoir la comprendre, l’on doit toujours l’appréhender dans sa mouvance et sa pluralité.
Bibliographie
Beaulieu, M.-B., Holstensson, L., Rioufol, M.-O., 2010, L’aide-soignant en service de gériatrie - Soins, communication et besoins affectifs, Paris, Masson.
Mangiante, J.-M., 2017, Discours et action(s) en milieux professionnel et universitaire : d’une norme d’usage à une contextualisation didactique en FOS et FOU. Dans H., Tyne (dir), Le français en contextes : approches didactiques, linguistiques et acquisitionnelles (p.21-33), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan.
Trivalle., C., 2016, Gérontologie préventive - Éléments de prévention du vieillissement pathologique, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson.
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
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