Par Mathieu Ternoy, doctorant, STAPS, , UrePSS, Université d'Artois
William Nuytens, professeur des universités, , UrePSS, Université d'Artois
Et Camille Amoura, maître de conférences, UrePSS, Université d'Artois
Les sujets vulnérables, au sens sociologique du terme, appartiennent aux milieux sociaux défavorisés où les désavantages sont nombreux (capitaux culturel et économique notablement inférieurs aux moyennes nationales, conditions sociales d’existence difficiles). La catégorie de vulnérables renvoie ainsi à une combinaison de précarités (par exemple du travail, des expériences scolaires) et à une fragilisation des supports de proximité (Castel, 1995). Elle concerne des personnes situées entre l’intégration et l’exclusion comme la pauvreté et la marginalité (Soulet, 2005 ; Thomas, 2010 ; Becquet, 2012). Ces personnes sont exposées à une plus forte mortalité que la moyenne liée à des facteurs de risque comme la mauvaise alimentation associée à l'inactivité physique (1.6 million ; Antero, Schipman, & Toussaint, 2018). Sur ce dernier point, une demande sociale a émané de divers acteurs comme le Ministère des Solidarités et de la Santé, le Ministère des Sports avec la stratégie nationale sport santé, l’UFOLEP nationale, la région Hauts-de-France ou encore la ville de Béthune. Elle porte sur la problématique suivante : comment optimiser la qualité de vie des individus en situation de vulnérabilité ?[1] Bien que le concept de « qualité de vie » varie en fonction des angles d’approche (e.g., sociologie, médecine, psychologie), un consensus commun réside dans l’idée qu’il renvoie à « un état de bien-être physique, mental et social, avec une insistance particulière sur la santé physique et l’habileté à remplir une fonction » (Compagnone & Buisson, 2007).
Aujourd’hui reconnus, les bienfaits de l’AP pour la santé sont assez bien documentés pour toutes les populations. Des cas concrets, comme celui du cycliste français Robert Marchand (108 ans) ou du coureur japonais Hidekichi Miyazaki, illustrent bien les bénéfices du sport et de l’activité physique (Antero & al., 2018). Même si le sport et l’activité physique (AP) sont depuis longtemps la cible d’essentialisations récurrentes aussi positives que négatives, certains de leurs effets sont connus pour leurs vertus (amélioration de l’intégration, renforcement de la citoyenneté, amélioration de la qualité de vie). On sait effectivement depuis 2010 que l’inactivité physique associée à une alimentation déséquilibrée est devenue une des causes principales de mortalité évitable dans le monde. L'étude Esteban (2017) de Santé publique France a permis d’indiquer qu'en 2015 la moitié des femmes et le tiers des hommes n'ont pas atteint les recommandations faites par l’OMS en termes d’activité physique. De même, chez les jeunes de 15 à 18 ans, seulement 18 % des filles et 28 % des garçons atteignent le niveau recommandé par l’OMS.
Ces chiffres montrent que la mise en place d’interventions visant à promouvoir l’AP à tout âge de la vie revêt une importance capitale. Elle l’est d’autant plus lorsqu’on s’adresse aux catégories défavorisées et vieillissantes qui se distinguent par des usages sociaux problématiques du corps au plan de l’alimentation, du suivi médical et de l’activité physique et sportive (Boltanski, 1971). De manière additionnelle, on constate aussi une diminution de l’AP avec l’augmentation de l’âge. Ces résultats sont inquiétants car le non-respect des recommandations entraîne l’apparition de pathologies défavorables pour la santé (obésité, diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires, cancers). Les apports scientifiques nous permettent d’ailleurs d’affirmer que grâce à l’AP les taux de morbidité et de mortalité baissent. Ce qui est intéressant est que les bénéfices de l’AP sont observables peu importe l’IMC et l’âge (Antero & al., 2018). En effet, elle permet de réduire les risques en ce qui concerne la survenue ainsi que les conséquences des maladies non transmissibles (MNT), soit toutes les maladies cardiovasculaires (cardiopathies coronariennes, AVC, hypertension, insuffisances cardiaques chroniques, coronaropathies, artériopathie oblitérante des membres inférieurs ; Inserm, 2019), les pathologies respiratoires (asthme, broncho-pneumopathie chronique obstructive) et aussi les pathologies métaboliques (diabète de type 2, cancers). Mais encore faut-il pour cela que l’intervention soit adaptée et que les inégalités sociales de santé et d’AP (INSERM, 2014) soient précisées notamment pour éviter les obstacles à la pratique (Rostand, Simon, & Ulmer, 2011).
Néanmoins, le déclenchement, la persistance et l’intensité des comportements d’engagement des individus dans des comportements favorables à une bonne qualité de vie font encore l’objet de nombreuses recherches. Par exemple, de nombreuses publications et recherches-actions tentent de comprendre pourquoi un individu choisit de s’engager (ou non) dans une activité (pour le plaisir, pour éviter des conséquences néfastes, pour faire plaisir à autrui, etc…). De plus, la question des leviers psychologiques qu’il est possible d’actionner pour favoriser l’engagement des individus est au cœur de nombreux débats.
Ici, ce sont des interventions psychosociales - fondées sur une analyse sociologique du territoire - qui sont proposées afin de favoriser la qualité de vie des citoyen(ne)s béthunoi(e)s, par la mise en place de programmes d’activités physiques adaptées. Pour être plus précis, cette recherche-action se déroule en trois temps. La première étape (réalisée dans le cadre du Master 2 Recherche de M. Ternoy) a permis de conduire une analyse sociologique poussée de deux Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV ; 1) quartier de la rue de Lille / 2) quartier du Mont Liébaut). Pour cela, nous avons d’abord croisé les résultats issus de passations de questionnaires (31 passations du questionnaire de Ricci et Gagnon), d’entretiens semi-directifs en face à face (18 au total : forte proportion de personnes au chômage vivant du RSA / aucune affiliation à un club de sport) et de la littérature. Puis, en rapportant ces derniers à des données épidémiologiques plus générales sur la place de l'AP chez les populations vulnérables, il nous a été possible d'affirmer que c'est un territoire carencé où vivent des personnes culturellement, socialement, économiquement précaires et qu'elles sont éloignées de la pratique d'activité physique (Lefevre & Thiery, 2011). On s’est également rendu compte que la santé y est impactée puisque les indicateurs de santé y sont les plus éloignés des standards.
Cette analyse sociologique a rendu possible la création de deux groupes expérimentaux distincts sur lesquels un traitement expérimental sera réalisé. Le premier groupe expérimental fera l’objet d’une intervention psychosociale basée sur des processus motivationnels en vue de favoriser la pratique d’activités physiques, sportives et/ou artistiques adaptées. Le second groupe expérimental servira de groupe contrôle[2]. Dans un deuxième temps, l’intervention psychosociale sera conduite. Celle-ci sera basée sur des techniques d’engagement et l’activation de leviers motivationnels en vue de favoriser l’implication des participant(e)s. Avant et après la mise en place de cette intervention psychosociale, un bilan santé comportant diverses mesures (e.g., souplesse, endurance, poids, bien être psychologique, etc…) sera soumis aux sujets. Nous nous attendons à une évolution favorable de ces diverses mesures chez les sujets appartenant à la première condition expérimentale. Une troisième et dernière étape consistera à rendre compte des résultats de recherche en direction des partenaires de l’étude (UFOLEP et élus de la ville de Béthune) en vue de prolonger, d’adapter et de généraliser le cas échéant à d’autres secteurs de la ville l’intervention. Il s’agit en effet sur la base d’une étude réalisée sur un terrain circonscrit (Grafmeyer & Joseph, 1984) et à l’aide d’une méthodologie permettant de contrôler de nombreuses variables de dégager des résultats reproductibles.
[1] Ce travail doctoral au sein de l’Atelier SHERPAS (équipe 3 de l’URePSS) d’une durée de trois ans (2019-2022) est financé par la région des Hauts-de-France et l’UFOLEP grâce aux dispositifs de bourses doctorales et de soutien de programme Stimule.
[2] L’attribution des quartiers dans l’une ou l’autre des conditions se fera sur la base d’un choix pratique lié à la réalité du terrain, ce qui permettra une généralisation de l’intervention en cas de succès.
Bibliographie
Amoura, C., Berjot, S., Gillet, N., Caruana, S., & Finez, L. (2015). Effects of Autonomy-Supportive and Controlling Styles on Situational Self-Determined Motivation: Some Unexpected Results of the Commitment Procedure. Psychological Reports, 116(1), 33-59. https://doi.org/10.2466/14.PR0.116k10w7
Antero, J., Schipman, J., & Toussaint, J.-F. (2018). Les sportifs jouent les prolongations. La Recherche: l’actualité des sciences, (Hors-Série n° 28).
Castel, R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Gallimard.
Festinger, L. (1954). A theory of social comparison processes. Human relations, 7(2), 117-140.
Girandola, F., & Joule, R.-V. (2012). La communication engageante : aspects théoriques, résultats et perspectives. L’Année psychologique, 112(1), 115-143. https://doi.org/10.4074/S0003503312001054
Rostand, F., Simon, C., & Ulmer, Z. (2011). Promouvoir l’activité physique des jeunes: Élaborer et développer un projet de type Icaps. Guides INPES.
Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2017). Self-Determination Theory: Basic Psychological Needs in Motivation, Development, and Wellness. Guilford Publications.
Vallée, B., Larrède, L., Willaume, V., Pascual, A., & Meineri, S. (2016). Effets à long terme d’une stratégie engageante : augmenter le nombre d’adhésions de l’association sportive d’un collège mahorais. Pratiques Psychologiques, 22(4), 353-362. https://doi.org/10.1016/j.prps.2016.07.002
Soulet, M.-H., (2005), Reconsidérer la vulnérabilité, Empan, 60, 24-29.
Wicker, P., Coates, D., & Breuer, C. (2015). The effect of a four-week fitness program on satisfaction with health and life. International journal of public health, 60(1), 41-47.
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
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