Par Lucie Sourzat,
maîtresse de conférences en droit public, CRDP, Université de Lille
I. Le concept de « résilience »
Le concept de « vulnérabilité » nous conduit à nous interroger sur celui de « résilience ». Littéralement, la résilience signifie « sauter en arrière », « se rétracter », ou encore « jaillir » se rattachant ainsi à l’idée de renaissance[1]. Si son étymologie est latine, le participe présent du terme latin « resilire », donc « resiliens », a été développé au XVIIe siècle par la langue anglaise accordant alors au saut, « l’idée de réaction après le choc »[2], d’un ressaisissement, d’un redressement après la survenance d’un risque. L’utilisation du terme « résilience » se développe d’abord dans le champ de la psychologie et s’étend par la suite à celui des matériaux et de la physique dans l’ouvrage de Thomas TREDGOLD Traité pratique sur la solidité de la fonte et d’autres métaux paru en 1824[3]. Au cours des années 1990, la définition de la résilience « prend en compte les aspects dynamiques et évolutifs en introduisant la notion de processus. En effet, la résilience se réfère à un processus complexe résultant de l’interaction entre l’individu et son environnement. [Autrement dit] il s’agit pour l’individu de pouvoir s’adapter aux situations adverses en développant des capacités qui mettent en jeu des ressources internes (intrapsychiques) et externes (liés à l’environnement social et affectif) »[4].
Connu pour avoir vulgarisé le concept de résilience, Boris CYRULNIK rattache un certain nombre de concepts apparentés à celui de résilience dont notamment celui d’adaptation. En effet selon ce dernier, « la résilience fait référence à une adaptation réussie, en dépit du risque et de l’adversité »[5].
II. La « résilience juridique »
Si la résilience n’est au premier abord pas juridique, il apparaît toutefois légitime de lui conférer une place au sein de la sphère du droit[6] et peut-être plus encore pour toutes les questions juridiques touchant au domaine de la santé.
C’est en sciences criminelles que la chercheuse Mihaela TOMITA a proposé pour la première fois le concept de « résilience juridique »[7]. Selon cette dernière « les problèmes psychologiques de la victime et de l’infracteur constituent les prémices du rapprochement entre le droit et le concept de résilience»[8]. L’auteur propose alors de définir la « résilience juridique » comme « l’importance accordée aux effets des "perturbations" [du processus judiciaire] sur le fonctionnement des systèmes »[9] reliés à la victime, à la personne ayant commis l’infraction et à la communauté dans son ensemble.
La résilience juridique pourrait alors très vraisemblablement dépasser le champ des sciences criminelles pour s’étendre au domaine de la santé et ce toujours à travers un prisme essentiellement juridique. Plus prosaïquement, la « victime » qu’il s’agirait de faire résister au « choc » ne serait alors plus celle d’une infraction, mais bien le secteur de la santé largo sensu.
III. Un « système sanitaire résilient »
Dans le contexte de crise et d’urgence sanitaire qui est le notre depuis maintenant plusieurs semaines, le Président de la République Emmanuel MACRON a fait usage du concept de résilience le 25 mars dernier pour désigner la nouvelle « opération consacrée à l’aide et au soutien des populations ainsi qu’à l’appui aux services publics pour faire face à l'épidémie de Covid-19 en métropole et en outre-mer, en particulier dans les domaines sanitaire, logistique et de la protection »[10] : « l’opération résilience »[11].
Quelle place la résilience peut-elle donc prendre en droit et par quels mécanismes juridiques garantir plus spécifiquement la stabilité de notre système de santé face, mais aussi, en dehors d’une situation de crise telle que celle que nous connaissons en ce moment ?
En effet il est désormais urgent de ne plus attendre que survienne le drame pour anticiper, répondre et/ou résister – critères de la résilience – au mieux aux différents risques susceptibles d’accentuer la vulnérabilité des patients, des personnels soignants et plus largement du secteur sanitaire tout entier.
Le Chef de l’État vient de promettre « un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières (…) pour notre hôpital »[12]. Si l’un des principaux critères de la résilience résidant notamment dans l’anticipation n’a manifestement pas été suffisamment satisfait pour garantir la solidité de l’hôpital face au « tsunami » causé par la pandémie mondiale du Covid-19, se pose désormais la question des mécanismes à mettre concrètement en place pour garantir un système de santé plus résilient.
Le plan « Ma santé 2022 » présenté en 2018 et ayant, pour le moment, abouti à l’adoption définitive par le Sénat le 16 juillet 2019 du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé[13] se révèle à ce stade insuffisant. Comme l’a énoncé le Premier Ministre Edouard PHILIPPE au mois de novembre dernier « l’hôpital décroche »[14]. Les mesures du Plan d’urgence et de soutien pour l’hôpital public lancé le 20 novembre 2019 se traduisant par le renforcement de l’attractivité des métiers de soignants, une meilleure intégration des personnels soignants à la gouvernance des hôpitaux et de nouveaux investissements pour l’hôpital seront-elles réellement efficaces pour faire face aux terribles chocs causés par la crise sanitaire actuelle et par ses effets à plus long terme ? Il convient en effet de s’interroger non seulement sur la traduction juridique concrète de ces mesures, mais encore sur leur pertinence pour (r)établir un « système de santé résilient » capable de s’adapter aux différents risques auxquels peuvent se trouver confrontés les usagers mais aussi les acteurs du domaine sanitaire.
[1] Claire-Emmanuelle LAGUERRE, La résilience, In Press, 2017, voir spéc. p.17.
[2] Ibid.
[3] Boris CYRULNIK et Gérard JORLAND, Résilience. Connaissances de base, Odile Jacod, 2012, voir spéc. p.21.
[4] Claire-Emmanuelle LAGUERRE, op.cit., v. spéc. p.16.
[5] Boris CYRULNIK et Gérard JORLAND, op.cit., v. spéc. pp.24-25.
[6] V. en ce sens notre thèse : Lucie SOURZAT, Le contrat administratif résilient, LGDJ, 2019.
[7] Mihaela TOMITA, « Droit et résilience », in Résiliences. Ressemblances dans la diversité, IONESCU Serban
(dir.), Odile Jacob, 2016, p.269.
[8] Ibid., v. spéc. p.278.
[9] Ibid., v. spéc. p.279.
[10] Allocution du Président Emmanuel MACRON à Mulhouse, aux côtés des femmes et des hommes mobilisés en première ligne pour protéger les français du covid-19, 25 mars 2020.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, JORF n°0172 du 26 juillet 2019, texte n° 3.
[14] Discours du Premier ministre Édouard PHILIPPE, Plan d’urgence pour l’hôpital - Ma Santé 2022, 20 novembre 2019.
Ce texte a été rédigé en 2020 dans le cadre de l'AAC "Vieillissement et territoires".
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