Pour son colloque annuel #dhnord, la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société de Lille réunira en distanciel la communauté des humanités numériques les 20, 21 et 22 juin 2022. Cet appel à communications propose d’interroger les collaborations entre les divers acteurs impliqués dans les projets de recherche en humanités numériques.
La dimension collective paraît inscrite dans la définition même des “humanités numériques” (Joffreset al., 2019). Elle est induite par cette expression en dyptique, promesse de féconds rapprochements, mais aussi par la “légende dorée” de sa naissance, fruit de la collaboration entre un père jésuite et une entreprise informatique (Schreibman et al., 2016; Mounier, 2018). Cette invitation au travail collectif, à la co-création, est d’ailleurs formulée aussi bien dans le Digital Humanities Manifesto 2.0 (Schnapp et al., 2008) que dans le Manifeste des Digital Humanities (Dacos et al., 2012). Cependant, aucun de ces textes fondateurs ne précise, outre le potentiel renversement des hiérarchies établies,les formes d'organisation possibles, les interactions entre les acteurs, et leurs influences réciproques, voire les spécialités mobilisées comme conditions sine qua non pour“faire des humanités numériques”. Si les “humanités numériques” sont par nature collaboratives, cela implique des modalités de concertation entre partenaires favorisant l’émergence d’une intelligence collective (Frimousse et al., 2019). Elle suppose donc la mise en place d’un ensemble de relations relativement horizontales entre tous les acteurs (Lefrançois, 1997) et des modes d’organisation originaux que les communications attendues pourraient étudier.
Placé au cœur des humanités numériques, le duo chercheur.se - ingénieur.e a fait couler beaucoup d’encre (Poupeau, 2019 ; Bertrand, 2019). Il n’est cependant pas le seul impliqué dans des projets de recherche (Siemens et al., 2011). Des compétences fortes en bibliothéconomie ou en archivistique peuvent s’avérer nécessaires (Caraco, 2012 ; Muller, 2016 ; Mouraby et al., 2021). Il en va de même pour le design (Girard, 2018).
Ces interactions entre différents métiers mettent en exergue l’articulation entre science et technique. Les définitions données à ces termes ont évolué depuis les réflexions de Platon dans le Protagoras en passant par celles de Heidegger (Agazzi, 1998), et elles font toujours débat. Si l’on considère que le numérique est une solution purement technique (Doueihi, 2011), qu’il est l’objet et non le sujet des humanités numériques, alors la contribution d’une partie de l’équipe au projet est à comprendre comme un service. Or, cette conception ne fait pas l'unanimité (Siemens, 2009). Il existe d'autres types d'organisation du travail : un modèle participatif, où chaque membre contributeur donne son avis d’expert, et un modèle coopératif résultat de l’agrégation de réalisations indépendantes.
En 2022, 73 ans après la collaboration Busa-IBM, 14 ans après le Manifesto, de nombreux chantiers ont été menés, de la science ouverte à la création d’infrastructures internationales. Où en est-on aujourd’hui du bouleversement méthodologique, heuristique et holistique, de l’acculturation des chercheurs.ses aux méthodes et aux outils numériques ? La question semblait toujours vive en juillet 2019 et la multiplication des appels à projets en collaboration émanant de réseaux nationaux professionnels laisse à penser que celle-ci reste d’actualité, car fortement soutenue (PRC, PRCI ou PRCE de l’ANR, Collex-Persée…). Cependant, ces incitations peuvent aussi encourager des collaborations de circonstance faites pour répondre aux attentes des financeurs.
S’il ne s’agit pas d'opposer (Snow, 1963) le travail des chercheurs.ses à celui des métiers des bibliothèques, ingénieurs.es et archivistes, ces professions ne doivent-elles pas aussi se réinventer, en améliorant d’une part la littératie ou l’alphabétisation numérique des chercheurs.ses (Cavalié et al., 2017), et en formant d’autre part des info-documentalistes, bibliothécaires, archivistes et ingénieurs.es, capables de comprendre les spécificités de chaque projet de recherche (Boulaire et Carabelli, 2017, Massot et Tricoche, 2021) ? Les difficultés et les obstacles rencontrés sur le chemin de la collaboration ont été évoqués de nombreuses fois, certains contestant la pertinence même de l'existence des humanités numériques (Poupeau, 2019 ; Bertrand, 2019).
Afin de faciliter la communication au sein des équipes, l’idée de partager une "culture commune" s’est imposée au fil du temps (Morlock 2014 ; Girard, 2018 ; Guichard 2019 ; Ruiz, 2019). Son développement est devenu un enjeu de formation, longuement débattu lors de #dhnord2019, qui mérite de l’être encore aujourd’hui. Dans cette perspective, le colloque #dhnord2022 mettra l’accent sur les aspects plus pragmatiques de la collaboration au quotidien. L’émergence récente de tiers lieux, labs ou learning centers (Carlin et Laborderie, 2021), conduit-elle à repenser le schéma attendu de la collaboration horizontale ? De même, l’expansion des nouveaux métiers de l’hybridation confirme le besoin de former des médiateurs facilitant le croisement de différentes cultures professionnelles.
Le colloque #dhnord2022 entend interroger les présupposés des humanités numériques au prisme de l’écosystème propre au mode-projet.
Y a-t-il des modes de travail collaboratif plus appropriés, plus efficaces, des réajustements nécessaires systématiques ou au contraire des difficultés irrémédiables qui mettraient en péril les projets ? Quels enseignements tirer des limites rencontrées et des échecs constatés ? Quels outils facilitent la collaboration ? Va-t-on vers une multiplication des médiations, une acculturation ou bien une hybridation des profils ? Où s’arrête le rôle de chacun ? Quels sont les nouveaux statuts, les nouveaux métiers à inventer ou à intégrer au monde de la recherche en SHS ? Doit-on préparer les étudiant.e.s en humanités numériques à ce mode de travail collaboratif ? La collaboration est-elle une utopie, ou bien seulement un idéal vers lequel il faudrait tendre ?
Les communications aborderont les sujets suivants :
- le travail collaboratif, interdisciplinaire et l’émergence d’une compétence collective : modèles d’organisation, gouvernance, freins, limites et bonnes pratiques ;
- les environnements numériques utilisés en mode collaboratif : dispositifs, outils, applications utilisés dans le cadre de ces projets, leur appropriation par les participants, les freins à cette appropriation ;
- le mode projet en humanités numériques : son encadrement croissant par les AAP, les financements, les infrastructures ;
- le workflow en mode collaboratif : formalisation, temporalité, outils ;
- les nouveaux lieux collaboratifs (Datalab) ;
- le croisement des cultures professionnelles : dialogue et tensions ;
- la formation : le renouvellement des compétences, des métiers, des profils, des statuts, les emplois à créer.
Cet appel s’adresse à l’ensemble des acteurs qui font vivre la communauté des humanités numériques, ce qui permettra de croiser les regards et de nourrir les échanges sur la problématique de la collaboration. Les propositions devront comporter un titre et un résumé (env. 1000 mots hors bibliographie) et sont à déposer jusqu’au 11 mars 2022 sur le site du colloque.
URI/Permalien: