Contexte scientifique
L'émergence des problématiques environnementales a conduit les politiques publiques à s'emparer d'objets complexes ouvrant des controverses sociotechniques, au sein même du processus décisionnel. Les désaccords entre experts ouvrent un espace d'expression de connaissances alternatives, tout en soulignant la difficile articulation des savoirs et savoirs faire entre spécialistes et profanes. L'engagement des associations, des entreprises et parfois de citoyens dans les débats publics dans ses formes institutionnalisées mais aussi dans des formes plus spontanées, semble proposer un modèle de gouvernance qui essaime dans d'autres domaines.
Le projet AGORAS se propose d'examiner sur un plan à la fois théorique et empirique les conditions d'un modèle `post-dialogique' dans la gouvernance et l'espace public de l'environnement. Le paradigme dialogique (Callon, Latour et Habermas principalement) en dépit des critiques qui lui ont été adressées, fonctionne encore comme un cadre de référence pour les procédures et expériences de participation démocratique et de recherche coopérative. Mais il souffre d'un tropisme délibératif et cognitif et d'une relation complexe et souvent confuse entre le modèle délibératif et les modèles participatif et représentatif. Quels sont les aspects d'une gouvernance démocratique qui reconnaisse l'importance de l'hétérologie (littéralement, `l'Autre du discours') en tant que condition et limite de la performance du dialogue co-constructif ? En conduisant l'enquête sur différents débats publics et dispositifs de gouvernance en matière d'environnement, le projet AGORAS propose d'examiner les conditions `hétérologiques' de la participation démocratique et de la recherche coopérative. Ces conditions permettent de construire une base d'échange équitable entre experts, élus, décideurs et citoyens, principalement, en vue de la co-construction des connaissances. De façon plus directe, comment un « profane » peut-il s'engager dans un débat environnemental, monter en puissance, en compétence et en réflexivité ? Quelles questions la participation du public soulève-t-elle dans la vie sociale, économique et politique ? Comment peut-on traduire des connaissances techniques et scientifiques et favoriser l'hybridation des savoirs, de différentes natures ? Comment conduire un projet de manière à la fois participative et performante ?
Description du projet, méthodologie
Nous proposons d'interroger les transformations de la gouvernance de l'environnement par l'étude des conditions non-dialogiques de la discussion, de la place du conflit mais aussi de l'argumentation rationnelle et de ses arrière-plans, en considérant en particulier ses fondements sensibles, au sein de l'espace public. Par la mise en place d'une recherche coopérative qui inclura notamment des experts, des élus, des décideurs, des associations et des citoyens, nous étudierons précisément les conditions et les prémisses structurantes d'un échange réflexif dans le cadre d'un projet contenant un volet participatif concret, qui sera soumis à l'évaluation des participants et contribuera à nourrir la réflexion sur le modèle « post dialogique ».
Nous étudierons ainsi les conditions cognitives et normatives de la traduction, de l'hybridation et de l'apprentissage des connaissances, mais aussi des volontés et des goûts, ainsi que des référentiels d'arrière-plan hétérogènes qui les structurent et les fondent. Notre approche est donc centrée sur un ensemble d'aspects qui constituent encore un point relativement aveugle dans la recherche sur la participation démocratique.
Concrètement, nous souhaitons créer une plateforme collaborative associant praticiens et chercheurs qui se déclinera sous la forme d'ateliers et de visites centrés sur les enjeux de la gouvernance environnementale. Le moyen de cette recherche consiste en à la mise en place d'une plateforme démocratique de recherche coopérative se réunissant sous forme d'assises à échéance régulière. Cette plateforme mêle des acteurs de la science, de la société et de l'environnement afin d'examiner les conditions d'une gouvernance multi-acteurs, au-delà des dispositifs de conférences de citoyens ou de débats publics. Elle est destinée à permettre un échange coopératif entre acteurs qui sont rarement amenés à se rencontrer, et confronter leurs points de vue. Cet échange pourra se traduire par la diffusion réciproque de connaissances, mais aussi par l'examen en commun des difficultés en matière de participation démocratique et de recherche coopérative dans le domaine de l'environnement. Des évaluations et visites d'expérimentations permettront de dépasser le stade du discours pour aborder les pratiques concrètes mises en oeuvre, dans la région Nord_Pas-de-Calais principalement. Nous avons identifié plusieurs processus innovants de gouvernance et de pratiques environnementales en région Nord-Pas-de-Calais et en France, caractérisés par l'implantation de dispositifs inclusifs ou participatifs. Nous associerons ainsi des entreprises et des associations concernées et intéressées à notre projet.
Les thématiques retenues sont l'agriculture biologique, la mobilité, l'habitat, les pratiques de certification environnementales. Une comparaison avec l'expérience de notre partenaire étranger - Dominique Bourg, à l'université de Lausanne - permettra également de prendre la mesure des spécificités locales de part et d'autre.
Résultats attendus
Cette recherche produira une typologie des conceptions de la participation dans le domaine environnemental et de leurs registres discursifs et sociologiques. Cette recherche permettra de préciser jusqu'où la participation démocratique en matière d'environnement est possible dans des espaces publics classiques et dans des « espaces privés » moins classiques. Il est question des conditions de performance de dispositifs délibératifs et participatifs (par exemple, dans des entreprises locales ou globales concernées par la question environnementale) qui ne satisfont pas les conditions idéales, ou même minimales, de la situation de parole des dispositifs démocratiques du type débat public.
Il s'agira aussi d'aboutir à la co-construction de bonnes pratiques et de recommandations en matière de gouvernance participative de projets dans le secteur environnemental. Certaines méthodologies de discussion et d'élaboration de variantes d'un projet, notamment dans le domaine de la prospective, seront développées et testées grâce à la plateforme collaborative. Un annuaire des chercheurs et des recherches sur ce thème sera créé et mis à disposition du public. On pense notamment aux équipes au sein des collectivités territoriales qui pourraient ainsi plus facilement identifier les expériences et les équipes à même de les aider dans la mise en place de démarches participatives.
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