La lecture des colonnes des revues juridiques rend saugrenue toute évocation d'un quelconque Big Bang doctrinal. La production doctrinale est pourtant affectée par trois séries de mutations. La première est d'ordre juridique. Elle consiste dans la complexification de l'objet d'étude de la doctrine, largement lié à la globalisation du droit. La seconde est d'ordre économique. Elle réside dans un mouvement de concentration, amorcé dans les années 90, sur le marché de l'édition juridique européenne conduisant à poser l'hypothèse de l'émergence d'un pouvoir éditorial participant tout autant que la doctrine, qu'il contribue à façonner, à dire ce qu'est le droit. La troisième est d'ordre technique. L'essor du recours aux TIC et au web 2.0 favorise une mutation des supports de diffusion des biens doctrinaux, révélateur d'un clivage entre deux modèles éditoriaux aux logiques économiques et scientifiques contrapuntiques, l'un fondé sur la réservation exclusive du bien, l'autre tourné vers la libre diffusion du savoir. Étudier l'effet de ces mutations sur la production du discours doctrinal, sur son espace pertinent d'analyse et sur ses modes de validation scientifique suppose une distanciation à l'égard de l'objet étudié refoulant tout repli sur le droit. Il ne peut être saisi qu'au prisme d'un dialogue interdisciplinaire, convoquant le regard des juristes, qu'ils soient théoriciens du droit, comparatistes, privatistes, publicistes ou européanistes, des sociologues, des socio-historiens du droit, des politistes et des épistémologues. Tel est l'objet de ce séminaire qui s'organise autour de trois axes structurants :
1/ Repenser les hiérarchies discursives, d'une part, entre doctrine et science du droit, ce qui conduit à soulever la question des points de vue et des critères de scientificité discursive, et, d'autre part, à l'intérieur du discours doctrinal, entre les différentes catégories de producteurs, universitaires et praticiens, invitant à jeter un regard critique tant sur la perception du champ doctrinal que sur l'exigence de neutralité scientifique et la disqualification corollaire des praticiens, voire des profanes ;
2/ Repenser les frontières territoriales de la production doctrinale, traditionnellement pensée dans les limites du territoire national : la construction de l'Union Européenne et d'un Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche débouche sur l'hypothèse d'une éventuelle porosité et hybridation des cultures doctrinales devant être éprouvée tant au niveau étatique par une approche comparée du phénomène doctrinal dans les systèmes romano-germaniques et de Common Law qu'au niveau supra-étatique par l'émergence d'une doctrine européenne plurielle ou unitaire ;
3/ Repenser les frontières disciplinaires suppose de dresser l'état des relations du discours juridique avec les sciences sociales avant de s'interroger sur la création des conditions de la réception du discours interdisciplinaire en droit en croisant les enseignements des expériences du Mouvement Critique du droit et du projet éditorial Droit et Société et de tenter d'ouvrir de nouvelles perspectives au décloisonnement disciplinaire à l'aune de l'apport du courant Droit et Littérature continental à la science du droit.
Séminaire porté par le CURAPP-ESS (UMR 7319 CNRS/UPJV) et le CEPRISCA (EA 3911), avec le soutien de la MESHS Lille aux projets "partenariats"
Organisateur : Valérie Varnerot, maître de conférences HDR, CURAPP-ESS
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