Ma décision est prise, cette année, ce sera la plage. L'année dernière, ce fut la montagne. Aujourd'hui, irrévocablement, je m'arrête de fumer. Je ne sais pas si cette décision tiendra longtemps, car je ne la prends pas pour la première fois. [En passant, je note l'expression : «prendre une décision». La décision est-elle une chose, une pensée, un objet, là, devant nous, comme à disposition, dont nous pouvons nous saisir ? ] Néanmoins, le fait même de (me) décider avec fermeté me fait du bien : tout à coup, par ce seul fait de la décision, je m'empare de mes forces vives. Il y a peu, une loi a bien été votée, qui interdisait de fumer dans les lieux publics. Elle peut m'avoir influencé(e), ou convaincu(e). Je ne mesure pas exactement son incidence. Peut-être existe-t-il des outils pour cela. Je remarque seulement, à titre d'indice, que d'autres se sont arrêtés (tout au moins ont-ils pris, comme moi, la décision de le faire). À supposer que la loi m'y ait autoritairement poussé(e), dois-je dire que j'ai subi la décision de m'arrêter de fumer (plutôt que de la prendre) ? La loi était fondée en grande partie, sur des impératifs sanitaires et économiques . On dit que le coût pour le système de santé est prohibitif (cancers, maladies pulmonaires, etc.). La sagesse veut que, par tous les moyens prophylactiques, le tabac soit interdit. Le régime de l'interdiction absolue étant trop sévère, le compromis est préféré : l'individu demeure libre de son choix quand il ne met pas en cause la vie d'autrui. On se contentera donc d'une interdiction dans les lieux publics. C'est un calcul entre coût et liberté. En tant qu'individu, supposé rationnel, je n'ai subi la loi qu'en apparence ; en réalité, j'ai contribué à sa constitution. Ainsi le veut la représentation politique.
Je me surprends moi-même parfois à être un(e) familier(ière) de ces calculs, conscients ou inconscients, entre risques et avantages. Il y a peu, en voiture, abordant un rond-point, j'étais à deux doigts de renoncer au sens giratoire . Le prendre en sens inverse m'aurait fait gagner un temps considérable puisque je devais le parcourir en entier, ou presque. La démarche, certes osée, était néanmoins sans risque puisqu'il n'y avait personne. En un instant de clairvoyance et d'effroi, j'ai mesuré mon goût du risque confronté à mon attachement aux règles et à la peur de la sanction. J'en ai conclu que le jeu n'en valait pas la chandelle. Il n'y avait certes personne, mais la police parfois se cache pour surprendre les conduites à risque. La route, plus généralement, les espaces communs, sont balisés de recommandations et d'injonctions qui nous permettent de nous dispenser à chaque pas d'une mesure des risques et des profits. Nous appelons cela « règles » et nous leur accordons notre confiance en faisant l'hypothèse que tous les respectent, comme dans un jeu très sérieux.
Il me vient, à ce propos, l'idée d'une décision à laquelle personne n'a jamais pu opposer le moindre argument, ni même y contrevenir, du moins jusqu'à un passé récent. Celle du grand partage naturel. Il y a d'un côté les hommes, d'un autre, les femmes. XY, XX, selon le schéma commun. Entendons bien « décision... ». Il y a, au beau milieu de ce mot, la scission, les ciseaux, la coupure. Ainsi, le monde a-t-il été originellement scindé en masculin et féminin. Cela ne fut, apparemment, le fait d'aucune concertation ni rationalité. Sauf exception malheureuse, la vie a été gouvernée par ce partage. La puissance de la médecine, de la génétique et de l'éthique place un coin dans ce partage initial longtemps reçu comme immuable. Il semblerait alors qu'il puisse m'appartenir, parfois, et sous certaines conditions, de choisir et de revenir, par ma décision, sur les décisions les plus inaccessibles.
Le cours de ces pensées est libre, peut-être aléatoire, j'en conviens. Je ne sais pas d'ailleurs si j'en suis l'acteur ou le jouet. Je serais sans doute bien avisé(e) de le réorganiser, le reconstruire en un parcours argumenté et convaincant, empruntant une méthode scientifique. Je peux aussi décider de venir assister aux conférences organisées par la Maison européenne des sciences de l'homme et de la société, du 28 mars au 15 avril 2011. Je n'ai pas l'assurance de voir tous ces sujets traités ; d'autres le seront certainement ; je pourrai néanmoins y poser mes questions, y faire des remarques.
Car en ce lieu, et particulièrement au Printemps, la science se vit sur le mode de l'échange. Il ne tient donc qu'à moi.
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