L'accident du 11 mars 2011 à Fukushima a révélé que l'industrie nucléaire et la technologie qui la porte sont «désencastrées» de l'infrastructure sociale dans laquelle elles étaient censées opérer. Les conséquences n'en sont que plus inévitables et brutales. De nombreux travaux, notamment issus des Science Technology and Society Studies, ont pourtant montré la nécessité de mettre en place des systèmes sociotechniques fonctionnels, c'est-à-dire interconnectés à l'infrastructure sociale et civique dans laquelle ils existent, afin de minimiser les risques liés aux développements techno-industriels, ce qui suppose, pour les communautés humaines concernées, de mettre l'accent sur les approches participatives et inclusives en matière de choix et de gestion des technologies. Mais dans les faits, de plus en plus souvent, de tels dispositifs sont conçus après que ces choix ont été réalisés, dans le but de gérer leurs conséquences néfastes. Ainsi, à Fukushima, de nombreuses initiatives dites « participatives » et infrastructures civiques - indice, selon de nombreux observateurs, d'«une montée en puissance d'un activisme citoyen» ou d'un «empowerment» - ont vu le jour après la catastrophe.
Dans ce contexte, il convient de regarder de près en quoi consiste la cogestion de la catastrophe de Fukushima, dans ses dimensions socio-économique, techno-scientifique, aussi bien que politique et morale. Notre hypothèse de recherche est que, en identifiant la catastrophe à la réalisation d'un risque maximum pris collectivement, le paradigme actuel du « risque » nucléaire fonde la légitimité d'un partage de la responsabilité post-catastrophique - de la prise en charge de la gestion des dégâts - sur l'empowerment. Ce dernier, à l'origine entendu comme pratique émancipatrice, désigne désormais le processus de transfert de ressources politiques et de pouvoirs de l'État vers la société civile, et la modification du rapport entre l'individu, en tant que sujet politique et social, et l'État. Il révèle une prise de contrôle de l'individu sur lui-même dans un contexte d'insécurité croissante.
Ainsi, à Fukushima, les experts et scientifiques nationaux et étrangers appellent chacun et chacune à prendre part à une «culture pratique radiologique» et à se faire acteur de sa propre protection. C'est l'ambition des nombreuses «initiatives citoyennes» qui enjoignent à la population de devenir «partie prenante» de sa «gestion radiologique». Dans le cas de la contamination nucléaire, l'empowerment se fait outil de contrôle social, perd sa dimension antagonique et devient une modalité de prise d'enjeux dans la gestion de la catastrophe.
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